À la suite d’un violent accident de la route, il n’est pas rare qu’une personne soit victime d’une lésion de la moelle épinière. Une telle blessure interrompt alors la communication entre le cerveau et le corps, entraînant la paralysie totale ou partielle avec des conséquences graves sur la motricité.
« Il est maintenant admis qu’on peut réhabiliter les réseaux neuronaux de la moelle épinière, permettant ainsi une récupération de la marche à la suite d’une lésion. Cela est possible puisque parmi ces réseaux, il y a des générateurs de patrons rythmiques (CPGs), explique Hugues Leblond, professeur au Département d’anatomie de l’UQTR et membre du groupe de recherche CogNAC (Cognition, Neurosciences, Affect et Comportement). Cela signifie que le cerveau donne des commandes et qu’ensuite, un ensemble de neurones, les CPGs, s’occupent de générer et synchroniser le rythme de la locomotion; ainsi, lorsqu’une personne marche, elle n’est pas obligée de penser à chacun de ses pas. »
La réexpression de la marche est donc possible sans la connexion avec le cerveau. « Chez l’animal, les scientifiques ont démontré que malgré une lésion médullaire complète, un entraînement locomoteur permet aux neurones du CPG, situés sous la lésion, de générer une marche automatique en quelques semaines », précise le chercheur.
Considérer la douleur
Conséquence d’une lésion, le signal de la douleur qui arrive à la moelle épinière – qu’on appelle nociception – ne se rend plus au cerveau; il n’est donc pas senti par la personne. Bien que non perçu, ce signal nociceptif risque de modifier l’activité du CPG et, par conséquent, d’affecter la récupération de la marche chez le patient. De fait, une lésion médullaire est fréquemment accompagnée d’inflammation et de douleur chronique. Plusieurs questions se posent : quel est l’impact de la nociception sur les réseaux neuronaux de la moelle épinière dans le contexte d’une lésion de cette dernière ? Devrait-on traiter pour la douleur une personne qui ne la sent pas et, le cas échéant, est-ce que cela permettrait de mieux rééduquer ces réseaux et favoriser sa réhabilitation ?
Ces questions sont étudiées par Renaud Jeffrey-Gauthier, étudiant au doctorat en sciences biomédicales. Sous la direction d’Hugues Leblond et codirigé par le professeur Mathieu Piché du Département de chiropratique, il compare la récupération de la marche sur tapis roulant chez deux groupes de souris ayant une lésion complète de la moelle épinière, dont l’un est composé de souris présentant une inflammation du dos (douleur chronique). Il est pertinent de noter, puisque l’inflammation est induite sous la lésion, que la douleur n’est pas perçue par l’animal.
Trois aspects sont évalués. D’abord, l’aspect comportemental, qui consiste à comparer la récupération de la marche entre les groupes de souris, a permis de constater que la nociception retarde cette récupération même si le signal n’est pas perçu. Ensuite, l’aspect neurophysiologique, où un réflexe simple est mesuré, a permis d’observer une altération de l’excitabilité des neurones impliqués en présence de douleur. Il reste à confirmer ces observations sous l’aspect neurobiologique; cette étape à venir, qui sera menée en collaboration avec l’Université Drexel à Philadelphie, consiste à analyser la présence de certains constituants cellulaires essentiels à l’activité motrice dans les neurones impliqués dans la locomotion des souris.
« Fondamentalement, ce que les résultats nous disent, c’est que les réseaux neuronaux responsables de la locomotion peuvent être modifiés, positivement ou négativement, par un input sensoriel. En ce sens, peut-être que le fait de contrôler l’excitabilité des neurones en présentant des stimulations sensorielles appropriées et en évitant les stimulations liées à la douleur pourrait favoriser une meilleure récupération de la marche », conclut Hugues Leblond.