Rose pour les filles, bleu pour les garçons : voici les stéréotypes que nous utilisons et qui affligent notre époque. Je vous propose un bref retour historique sur l’association des couleurs aux genres afin de comprendre pourquoi le rose est une couleur plus coûteuse.
Le rose et le bleu : un melting pot historique
Une longue tradition, qui remonte à l’Antiquité, veut que l’on habille les garçons en bleu et les filles en rose. À cette époque, on préférait avoir un garçon (en raison de sa force, qui assurait un travail rémunérateur) et ce don était associé au bleu, couleur du ciel et résidence des Dieux.
En Europe, au Moyen-Âge, époque au cours de laquelle la chrétienté a pris le dessus sur le polythéisme, le bleu, évoquant la couleur du vêtement de la Vierge Marie, a été associé aux… filles. À l’inverse, le rouge, considéré comme une couleur virile, guerrière, et ses teintes se retrouvent donc associées aux garçons. Certains chevaliers en portent sur leurs vêtements ou leurs écus.
Il faut attendre le 18e siècle pour qu’un peintre belge invente une couleur qui allait séduire Mme de Pompadour, la favorite de Louis XV; il n’en fallait pas davantage pour que cette couleur, un rose, devienne celle associée aux filles[1].
Le rose, une couleur coûteuse
Les traditions perdurent et le rose est davantage associé au sexe féminin pour de nombreux produits, comme les vêtements, les rasoirs, les jouets ou les produits de beauté. Si la couleur permet de faire une différence en termes de genre, elle permet aussi d’établir une différence en matière de prix. Cette différence est ce que certains appellent la « taxe rose », ou woman tax dans le monde anglo-saxon, qui impacte les finances des femmes à hauteur de 1400 dollars américains par année, selon un article de Forbes[2]. Plusieurs experts et journalistes s’intéressent à ce phénomène, et dénoncent une réalité reposant sur la couleur et le sexe des utilisatrices du produit.
Comment expliquer que Bic, par exemple, vende des stylos à la pointe rétractable environ 5 $ pour un emballage de 4, alors que la version Bic for her se vende 9 $ pour un emballage de deux? Même chose pour le parfum; ainsi, Playboy propose un parfum pour homme et un autre pour femme, mais ce dernier est vendu deux fois plus cher! Si le marché des produits de beauté est majoritairement féminin, on peut comprendre qu’un prix plus bas pour des produits pour hommes ait pour objectif de les attirer à en consommer davantage. Mais comment expliquer que les rasoirs, la mousse à raser ou encore les stylos pour femme soient plus chers? À cause des ingrédients entrant dans la composition des produits? Très peu. De la forme ergonomique? Pas vraiment. De la couleur? Certains experts avancent l’idée que les femmes acceptent de payer plus, ayant la perception qu’un prix plus élevé est synonyme de meilleure qualité. Les raisons seraient-elles liées à des coûts de fabrication? En partie, en raison des volumes de production. En fait, l’explication est partiellement marketing. Pour le marché des cosmétiques, le prix plus élevé s’explique par les frais liés à la publicité et au recours aux célébrités qui y figurent. Il existe aussi la notion de «prix psychologique», soit ce que les consommatrices acceptent de payer. En deça de ce prix, le produit n’est pas de bonne qualité; lorsqu’il est supérieur, elles estiment que c’est trop cher payé.
Enfin, dans un marché en maturité, il est intéressant de le segmenter. Ainsi, un couple qui a des enfants de sexes différents achètera des produits (vélo, patins à roulette, ski) de couleur spécifique à chacun d’entre eux. Ainsi, ces consommateurs dépenseront plus.
Devant une telle discrimination, certains états avant-gardistes, comme la Californie, ont réagi et banni le «marketing genré» dès 1996[3]. Récemment, l’Union Européenne a banni la taxe sur les serviettes hygiéniques. Çà et là, dans les pays occidentaux, des citoyennes, des journalistes ou des collectifs féminins (http://www.georgettesand.org/) dénoncent ce phénomène sur les réseaux sociaux (http://womantax.tumblr.com/). En attendant le retour à l’équité, trois solutions existent : boycotter les produits, mieux lire les ingrédients entrant dans leur composition ou acheter des produits neutres.
N.B. : Le rédacteur de cette chronique est professeur de marketing et papa de trois filles.
[1] Voir : http://www.franceinfo.fr/emission/les-pourquoi/2013-2014/pourquoi-associe-t-le-rose-aux-filles-et-le-bleu-aux-garcons-12-15-2013-07-50
[2] Voir : http://www.forbes.com/sites/learnvest/2012/05/15/the-woman-tax-how-gendered-pricing-costs-women-almost-1400-a-year/#74e7df618351
[3] Voir : https://www.jstor.org/stable/1342036?seq=1#page_scan_tab_contents