C’est bien connu : l’ADN extrait du sang, du sperme, de la salive, d’un fragment de peau ou d’un cheveu prélevé sur une scène de crime, peut être utilisé en médecine légale pour déterminer le profil génétique d’un suspect. Néanmoins, la question se pose : quelle est la valeur de la trace d’ADN lorsque des hypothèses sont mises en compétition au tribunal?
« Le poids statistique de la concordance entre le profil du suspect et l’ADN trouvé sur la scène de crime est un élément important de l’enquête. S’il existe une probabilité non négligeable qu’une autre personne dans la localité ait le même profil génétique, la trace d’ADN du suspect, même analysée par les biologistes au laboratoire de médecine légale, n’est plus très incriminante », affirme Emmanuel Milot, spécialiste de la génétique des populations et professeur au Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR. D’où l’importance de mieux comprendre la complexité réelle des populations dans le contexte criminalistique.
Dans cette perspective, soutient le chercheur, « la génétique criminalistique se définit comme la branche de la criminalistique qui utilise la variation génétique présente dans les populations pour effectuer des inférences sur un événement ou un phénomène particulier à partir de traces matérielles. Cette définition introduit l’idée de population et, par le fait même, celle de l’interprétation de la trace d’ADN, c’est-à-dire sa mise en contexte pour en établir la signification ou, dans un contexte judiciaire, sa valeur probante. » À cet égard, le professeur Milot s’intéresse à l’adéquation entre les modèles statistiques utilisés pour calculer la valeur probante d’une trace d’ADN et la complexité des populations réelles.
Afin de cerner cette complexité, il faut détenir une connaissance fine des populations. Pour y arriver, Emmanuel Milot travaille à évaluer l’information fournie par des marqueurs génétiques situés sur le chromosome Y, transmis par le père, et l’ADN mitochondrial (ADNmt), transmis par la mère. Précisons qu’un marqueur génétique est un endroit informatif sur l’ADN, variant d’un individu à l’autre, qui peut permettre d’identifier le profil génétique d’une personne.
Le chromosome Y s’avère particulièrement pertinent dans les cas d’agressions sexuelles pour isoler la composante masculine – dans le cas d’un agresseur mâle – d’un mélange d’ADN homme-femme. Il demeure toutefois très difficile d’établir la valeur probante d’une concordance entre ce profil masculin et celui d’un suspect. « Pour contourner ce problème, on peut remonter la généalogie d’une population jusqu’aux ancêtres et la redescendre. En effet, puisqu’une lignée paternelle – père, cousins, enfants mâles, etc. – possède le même chromosome Y, à moins que se produise une mutation en chemin, on peut ainsi attribuer un génotype à des dizaines de personnes sans les avoir typées », croit M. Milot.
De son côté, l’ADNmt est utile pour l’analyse de la diversité génétique de nos ancêtres par le biais des lignées maternelles, du fait que les mitochondries sont transmises uniquement par la mère. En criminalistique, l’ADNmt présente l’avantage d’intervenir quand l’ADN nucléaire est dégradé par l’humidité ou la chaleur; c’est le cas lorsqu’on retrouve des restes humains, par exemple. « En biologie de l’évolution ou en écologie, les chercheurs utilisent l’ADNmt afin de reconstruire les arbres phylogénétiques pour des populations d’une même espèce », explique le chercheur, précisant qu’on peut étendre l’application de la génétique criminalistique à des domaines aussi divers que la recherche de personnes disparues (ex. désastre de masse), l’anthropologie (ex. identification d’ossements anciens), l’écologie (ex. suivi du mouvement des animaux par les traces d’ADN qu’ils laissent) ou l’environnement (ex. microbiologie environnementale).
« La génétique criminalistique offre un objet d’étude et un champ d’application qui rendent possible de s’intéresser non seulement à des événements particuliers comme un meurtre, mais également à des phénomènes plus larges, et ce, tant dans une perspective judiciaire que d’investigation », conclut Emmanuel Milot.