Dans votre vie quotidienne, ce serait mentir que d’affirmer que vous n’avez jamais fait la file. Et les situations sont nombreuses (épicerie, pharmacie, cinéma, guichet automatique, etc.). Avez-vous déjà pensé changer de file pour attendre moins longtemps? Cette situation est tentante, surtout si l’on est le dernier arrivé. Cruel dilemme, donc, que celui du client qui se demande s’il ne ferait pas bien de rejoindre la rangée d’une autre caisse, puisque le panier des clients semble moins garni. Moins d’articles à présenter sur le tapis signifie donc moins de temps à attendre pour les autres derrière lui. Mythe ou réalité?
Une expérience menée par un chercheur de la célèbre Université Harvard aux États-Unis a donné des résultats surprenants[1]. De façon générale, les consommateurs éprouvent une certaine aversion à se trouver en dernière position d’une file d’attente. C’est l’« aversion de la dernière place », théorème bien connu en économie. Dans la vie quotidienne, les gens se comparent sans cesse (salaire, taille, culture, classe sociale, etc.) et espèrent ne pas figurer au niveau le plus bas. Dans une file d’attente, les clients arrivés les derniers éprouvent un sentiment négatif durant les 10 premières secondes, après quoi ce sentiment s’estompe.
Changer ou ne pas changer de file?
Par rapport aux autres clients qui attendent devant eux, les derniers d’une file d’attente ont quatre fois plus de chance de changer de file et deux fois plus de chance de quitter le commerce. Plus la file est longue, plus cela risque de se produire, mais ce comportement semble ridicule, puisque les gens associent la longueur de la file à la durée, ce qui n’est pas forcément le cas. En moyenne, ceux qui ont changé de file ont attendu 10 % de temps de plus que les autres; ceux qui ont changé deux fois de file ont attendu 67 % plus longtemps, ce qui a engendré une augmentation de leur insatisfaction.
Lorsque les consommateurs choisissent une file, ils se basent sur des dimensions rationnelles (nombre de personnes, volume des paniers d’épicerie, nombre de bagages dans un aéroport par exemple, etc.); cependant, si la file voisine se raccourcit plus rapidement, certains décideront de changer. En règle générale, le temps d’attente passe plus vite si l’on discute avec une autre personne qui attend aussi dans la file.
Stratégies pour jouer sur la perception
Des stratégies existent pour les entreprises qui veulent faire croire que le temps d’attente n’est pas si long. Par exemple, certains commerces proposent une file pour prendre les commandes et une autre pour être servi. Dans certains hôpitaux, on appelle plusieurs patients en même temps, qui quittent la salle d’attente commune pour prendre place dans des salles d’examens individuelles.
D’autres mettent en œuvre diverses tactiques (files en forme d’escargot, tickets numérotés, file VIP, etc.) pour tenter de réduire cette perception, sinon cette réalité de la longueur et de la durée d’attente.
Il reste que dans une société où l’instantanéité devient le nouveau pouls des attentes des consommateurs, les gestionnaires marketing devraient tenir compte de cette maxime de Montaigne : « L’attente est douce, mais elle s’aigrit comme le lait. »
Référence
[1] Voir Buell, Ryan W., Last Place Aversion in Queues (December 19, 2017). Harvard Business School Technology & Operations Mgt. Unit Working Paper No. 18-053. Disponible en suivant les liens suivants : https://ssrn.com/abstract=3090591 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3090591