Depuis l’invention du cinéma, le film policier est un genre extrêmement populaire. Dans de nombreux scénarios, le niveau d’expérience, la culture et l’origine des policiers sont des facteurs qui opposent les protagonistes principaux et qui donnent la couleur au film. Bien qu’il s’agisse là de vieux clichés hollywoodiens, ces représentations contiennent pourtant une part importante de vérité.
Le 8 juin dernier, le professeur Marc Alain, du Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières, s’est rendu à Marseille pour donner une conférence lors du colloque international des 24e Journées du longitudinal, un événement qui regroupe tous les deux ans des chercheurs francophones du monde entier. Au cours de son exposé, M. Alain a présenté les résultats d’une étude qui comparait deux cohortes de recrues policières à travers le temps. Sondés en France et au Québec, les policiers et policières ont été interrogés à quatre reprises pendant les six premières années de leur vie professionnelle.
Une culture policière différente
Dans le protocole de l’étude, M. Alain reprend le questionnaire de socialisation professionnelle élaboré dans les années 1990 par le sociologue français Dominique Monjardet. La reprise fidèle des questions a ainsi permis de mettre en parallèle deux cultures de police qui s’avèrent bien différentes.
« Au départ, l’étude comptait environ 800 participants. Nous les avons questionnés sur la perception qu’ils avaient de leur métier. Lorsque nous avons compilé les résultats, nous avons réalisé que plus les années passaient, plus leur opinion avait tendance à changer. Leur vision des choses n’était donc pas stable », indique-t-il.
Le professeur a en effet observé un certain cycle de désillusion chez les policiers québécois. Si au départ ceux-ci adoptent une attitude positive par rapport à leur emploi, leur vision des choses semble s’assombrir avec le temps.
« Au Québec, nous avons constaté que les policiers se divisaient principalement en deux groupes : les policiers-travailleurs sociaux et les policiers-cowboys. Les premiers sont idéalistes, et ont comme motivation d’aider les citoyens. C’est une attitude que l’on retrouve surtout chez les recrues. Or, lorsqu’ils réalisent que les citoyens ne veulent pas nécessairement avoir de rapports avec les policiers, et qu’ils ont de la difficulté à se rapprocher d’eux, ils ont tendance à se démobiliser et à migrer vers le style cowboy, qui consiste essentiellement à arrêter des bandits », explique-t-il.
Pour leur part, les agents français seraient plus réalistes par rapport à leurs fonctions, de sorte que leur attitude se cristalliserait plus vite, et de manière plus positive. Leur répartition serait également moins tranchée : si les policiers-travailleurs sociaux et les policiers-cowboys existent aussi dans l’Hexagone, leurs positions seraient moins dichotomiques. Ainsi, en étant plus proches sur le plan idéologique, de nombreux policiers français se retrouveraient en fait dans un groupe mitoyen.
L’éthique du métier
Afin de pousser la recherche plus loin, le professeur Alain a ajouté 25 énoncés au questionnaire initial. Ces questions supplémentaires lui ont permis d’aborder l’éthique du métier de policier, entre autres en ce qui a trait à l’acceptation de cadeaux et à la non-dénonciation des collègues policiers.
« Si on compare les données, les résultats indiquent que les recrues ayant une attitude de travailleur social obtiennent un score éthique plus élevé. Les recrues ayant un penchant pour le style cowboy seraient quant à elles plus susceptibles de poser des gestes dont l’éthique serait douteuse », affirme-t-il.
Une question de formation ?
Pour expliquer la différence de perception entre les policiers québécois et français, M. Alain note que ceux-ci n’entrent pas de la même façon dans le métier.
« En France, pour pouvoir entrer à l’École Nationale de Police, les candidats doivent déjà être fonctionnaires d’État. Au cours de leur stage, ils patrouillent avec de vrais policiers, et vivent la réalité du terrain. Au Québec, les policiers n’ont jamais connu le vrai métier avant de graduer. Pendant les 15 semaines de leur stage final, ils enchaînent à un rythme effréné une panoplie de situations fortes en intensité. Or, lorsqu’ils deviennent officiellement policiers, on leur demande simplement de patrouiller et de donner des contraventions », évoque le professeur.
Qu’est-ce qu’une étude longitudinale ?
Bien que certaines études puissent être réalisées en quelques mois seulement, d’autres s’échelonnent sur plusieurs années. Ainsi, les chercheurs qui ont recours à l’étude longitudinale suivent un groupe de personnes sur une période de temps relativement longue. La plus célèbre de ces études demeure sans doute l’étude sur le bonheur de l’Université Harvard, qui a duré près de 80 ans.
« Compte tenu de la longueur de l’étude, les conditions de réalisation finissent par changer. Dans les groupes de sondage, plusieurs personnes finissent par se désister, mais nous devons nous assurer qu’il en reste toujours suffisamment pour que les résultats soient représentatifs », remarque M. Alain.
« Un colloque comme celui de Marseille nous permet de discuter des façons de garder les gens intéressés, et d’échanger sur les manières de nous en sortir. Nous apprenons les uns des autres, améliorons notre maîtrise de la méthodologie, et développons des modèles d’analyse statistique à la fine pointe du domaine », conclut le professeur.