La pression sociale a-t-elle un impact sur le désir sexuel ? La triste réponse est : oui ! Par contre, il y aurait une approche intéressante pour se sortir de ce cercle vicieux de la performance et ainsi retrouver son épanouissement sexuel. Place à la « pleine conscience » !
Prévalence du désir sexuel
Les problèmes reliés au désir sexuel constituent un motif fréquent en thérapie et sont les plus difficiles à traiter en raison de leur complexité et des multiples facteurs qui en découlent (McCarthy et McCarthy, 2003; Trudel, 2008). La prévalence des hommes qui présentent une baisse de désir sexuel se situe entre 15 à 25 % (chez les 18 à 60 ans) et ce pourcentage tend à augmenter après 60 ans (McCabe et al, 2016), alors que pour les femmes, la prévalence tourne autour de 43 % (Laumann et al, 1999).
Dans certaines études (Carvalo & Nobre, 2011), les facteurs cognitifs prédomineraient sur l’ensemble des autres facteurs (psychologiques, culturels, environnementaux, sexuels, conjugaux, etc.) pour expliquer une diminution ou une absence de désir sexuel. Le présent article mettra donc l’accent sur ce facteur ainsi que sur une stratégie pouvant être utilisée en sexothérapie : la pleine conscience.
La pression qui mine la sexualité
La société dans laquelle nous évoluons met beaucoup de pression quant à la performance autant professionnelle, parentale que conjugale. Les individus se comparent beaucoup au travers de ces différents rôles et il est documenté que les comportements de comparaison peuvent avoir un impact sur l’estime de soi. Il n’est donc pas rare de rencontrer des personnes en thérapie qui se sentent essoufflées par la conciliation de tous ces rôles et qui ressentent également de la culpabilité en regard des comportements de comparaisons sociales.
Cette émotion qu’est la culpabilité peut contribuer à accentuer les pensées automatiques (Nobre et Pinto-Gouveia, 2006), et ces dernières auraient un impact sur la réponse sexuelle (désir, excitation, orgasme) des hommes et des femmes (Nobre et Pinto-Gouveia, 2008). Mon expérience clinique va aussi dans le sens des recherches : plus les préoccupations et les ruminations occupent l’esprit, moins il semble y avoir de place pour s’épanouir dans sa sexualité.
Imaginez une journée, une semaine, des mois à accrocher à toutes ses pensées, à ruminer, à se juger, à se comparer : « Je ne suis pas assez présente pour mes enfants, je travaille trop, je ne suis pas à la hauteur, mon conjoint ou ma conjointe n’est jamais là, je suis seul, je dois être fort, j’ai peur, je suis épuisé, il FAUT que je fasse le ménage, le souper, les devoirs (bref, le mode multitâche!) et ça fait deux semaines qu’on a pas eu de rapprochements sexuels…» Et j’en passe !
C’est ici que la pleine conscience peut être intéressante. À cet effet, de plus en plus de chercheurs et de cliniciens (Brotto et Basson, 2014; Brotto et Woo, 2010; Dessaux, 2015; Newcombe et Weaver, 2016; Déziel, Gobbout et Hébert, 2017) se sont penchés sur les effets de cette pratique en lien avec le désir sexuel des hommes et des femmes.
La pleine conscience : qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce que la pleine conscience et comment s’entraîne-t-elle ? Brièvement, la pleine conscience, c’est d’abord de porter son attention de façon délibérée sur quelque chose qui se passe à l’intérieur de soi (la respiration, par exemple). Puis, c’est dans cet état d’observation, dans l’ici-maintenant, que nous portons notre attention sur ce qui se passe, avec bienveillance, sans chercher à juger ou à changer ce qui se présente à l’intérieur de soi. Simplement, en accueillant avec bienveillance les pensées, les émotions et les sensations qui émergent en soi.
Or, le but de la pleine conscience est de nous apprendre à nous connecter à ce qui se passe à l’intérieur de soi, sans chercher à agir sous le contrôle de toutes ses pensées ou sensations qui se passent en nous. Dans la pleine conscience, on veut simplement observer ces manifestations sans s’y accrocher. D’apparence simple, l’entraînement à la pleine conscience est un processus qui aide les gens, les couples à mieux accepter que ces pensées, émotions, ressentis fassent partis d’eux (Kabat-Zinn, 2009).
Mode « faire », mode « être »
Une question se pose maintenant : comment pouvez-vous ressentir du désir sexuel lorsque vous êtes pris dans votre tête à vouloir faire toutes ces choses et, de surcroît, à porter un jugement sur vous-même ? C’est très difficile, non ?
Donc, pour faire un parallèle avec le désir sexuel et la pleine conscience, sachez que la sexualité implique aussi le corps. Or il y a une dualité corps-esprit qui intervient (Brotto et Basson, 2014). L’esprit qui juge sans arrêt, à quoi s’ajoute le multitâche, semble nuire à la connexion sensorielle, mais aussi à la connexion avec l’autre.
Lorsque les personnes sont dans le mode « faire », elles sentent qu’il y a un écart entre leur idéal et ce qui se passe dans la réalité, créant ainsi une urgence de faire les choses (ex. : multitâches) pour rétablir un équilibre, ce qui finit par créer beaucoup de tension. Alors que dans le mode « être », la personne ne cherche pas à tout contrôler, mais bien à se laisser porter par les événements comme ils viennent. Ce mode est davantage caractérisé par la liberté et la légèreté (Segal, Williams et Teasdale, 2012).
Un entraînement au quotidien
Selon Brotto et Woo (2010), il est crucial d’intégrer la pleine conscience dans les différentes sphères de sa vie, car lorsque le cerveau est constamment dans le mode multitâche, il devient très difficile de lâcher prise dans la sexualité. Après cinq semaines d’entraînement à la pleine conscience, les personnes qui la pratiquent peuvent en observer des effets bénéfiques dans l’expression de leur sexualité.
Dans ma pratique, j’observe que les personnes qui s’y entraînent régulièrement ressentent beaucoup plus de légèreté et, surtout, elles sont beaucoup plus connectées à l’instant présent. Délaisser peu à peu le mode « faire » permet de connecter davantage à leur propre désir sexuel et, ainsi, pouvoir s’épanouir davantage avec leur partenaire.
En résumé, la pleine conscience est une habileté qui, en se pratiquant de façon régulière, aide les personnes vivant une perte ou une absence du désir sexuel à donner une place aux obstacles intérieurs, tels que les pensées, les émotions difficiles, les ruminations, pour ainsi développer une meilleure conscience de soi, de son corps et finalement, se connecter à différentes sensations physiques pouvant attiser leur désir sexuel et se sentir vivantes !
Références
Brotto, L. A., & Basson, R. (2014). Group mindfulness-based therapy significantly improves sexual desire in women. Behaviour Research and Therapy, 57, 43–54.
Brotto, L. A., & Woo, J. S. T. (2010). Cognitive-behavioral and mindfulness-based therapy for low sexual desire. In S. R. Leiblum (Ed.), Treating sexual desire disorders: A clinical casebook. (pp. 149–164). New York, NY: Guilford Press.
Carvalho, J., & Nobre, P. (2010). Predictors of women’s sexual desire: the role of psychopathology, cognitive-emotional determinants, relationship dimensions, and medical factors. Journal of Sexual Medicine, 7(2), 928–937.
Dessault, N. ACT et Trouble sexuel dans. (2015). Dans. Seznec, J.C. (dir.), ACT: applications thérapeutiques. Paris : Dunod.
Déziel, J., Godbout, N., & Hébert, M. (2017): Anxiety, dispositional mindfulness, and sexual desire in men consulting in clinical sexology: A mediational model. Journal of Sex & Marital Therapy, doi :10.1080/0092623X.2017.1405308.
Kabat-Zinn (2009). Au coeur de la tourmente, la pleine conscience. Paris : De Boeck.
Laumann, E. O., Paik, A., & Rosen, R. C. (1999). Sexual dysfunction in the United States: Prevalence and predictors. JAMA: Journal of the american medical association, 281, 537-544. doi:10.1001/jama.281.6.537
McCarthy, B., & McCarthy, E. (2003). Rekindling desire: A step-by-step program to help low-sex and no-sex marriages. New York, NY, US: Brunner-Routledge.
McCabe, M. P., Sharlip, I. D., Lewis, R., Atalla, E., Balon, R., Fisher, A. D., … Segraves, R. T. (2016). Incidence and prevalence of sexual dysfunction in women and men: A consensus statement from the Fourth International Consultation on sexual medicine 2015. The Journal of Sexual Medicine,13(2), 144–152. doi:10.1016/j.jsxm.2015.12.034
Newcombe, B. C., & Weaver, A. D. (2016). Mindfulness, cognitive distraction, and sexual well-being in women. Canadian Journal of Human Sexuality, 25(2), 99-108. doi:10.3138/cjhs.252-A3
Nobre, P. J., & Pinto-Gouveia, J. (2006). Dysfunctional sexual beliefs as vulnerability factors to sexual dysfunction. Journal of Sex Research, 43, 68–75.
Nobre, P.J. & Pinto-Gouveia, J. (2008). Cognitions, emotions, and sexual response: Analysis of the relationship among automatic thoughts, emotional responses, and sexual arousal. Archives of sexual behavior, 37(4), 652-661.
Segal, Z. V., Williams, J. M. G., & Teasdale, J. D. (2012). Mindfulness-based cognitive therapy for depression (2nd ed ). New York: Guilford Press.
Trudel, G. (2008) Les dysfonctions sexuelles : Évaluation et traitement par des méthodes psychologiques, interpersonnelles et biologique. Les Presses de l’Université du Québec. Sainte-Foy.