Encore aujourd’hui, plusieurs aspects de la maladie d’Alzheimer demeurent un mystère. « En complément de la recherche dans les domaines biologiques et pharmacologiques pour mieux comprendre et traiter cette maladie, l’accent doit être mis sur l’humanité de la personne atteinte », lance d’emblée la professeure France Cloutier du Département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Dans ses recherches, la professeure Cloutier s’est intéressée à la construction socioculturelle de la notion de personne, une thématique qui lui a permis d’explorer comment un individu atteint de la maladie d’Alzheimer est perçu, d’un côté, par ses proches et, de l’autre, par les intervenants. Et, surtout, de trouver des solutions pour mieux gérer les comportements qui découlent de ces perceptions.
Perception et seuil de rupture
La notion de «seuil de rupture » peut se définir comme une coupure irréversible dans la relation avec le malade, au-delà de laquelle ce dernier est perçu comme étant une personne différente. Cette « rupture » est entraînée par une perception liée, par exemple, à la perte ou la diminution des fonctions cognitives (mémoire, langage, raisonnement, apprentissage, etc.) et aux modifications comportementales (agressivité, désinhibition, soumission). Au stade avancé de la maladie, il arrive fréquemment que les proches aient de la difficulté à reconnaître la personne atteinte du fait que sa personnalité se soit complètement transformée.
France Cloutier a constaté que le seuil de rupture n’est pas le même chez les intervenants comparativement à celui remarqué chez les proches. Pour les premiers, le seuil de rupture est souvent constaté lorsque la personne devient agressive, ce qui engendre de la peur et peut créer une certaine distance. Chez les proches, la rupture est davantage reliée au lien affectif, notamment lorsque la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ne les reconnaît plus. Cette profonde souffrance vécue génère un éloignement du proche et, concrètement, on constate une diminution de la fréquence et du temps des visites.
Mais comment réussir à contrer ces réactions de prise de distance ? France Cloutier aborde la question en évoquant la transmission d’informations, l’histoire de vie et l’humanisation des soins.
Humaniser les soins
« L’humanisation des soins commence par le respect de la personne, puis par le fait de considérer son histoire de vie et reconnaître que son potentiel est toujours présent, affirme-t-elle. Et cela passe par la formation des intervenants, ainsi qu’en informant et impliquant les membres de la famille dans les soins. »
La professeure Cloutier poursuit : « Autant pour les proches que pour les intervenants, il s’agit d’abord de porter attention aux gestes qui peuvent brusquer la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer, comme la façon dont on rentre dans sa chambre, et, conséquemment, générer une réaction négative de sa part. Puis, il faut respecter la condition et le rythme de la personne, et s’y adapter. Par exemple, comme son rythme d’encodage et de décodage des messages est plus lent, cela demande de la patience, de l’écoute, de l’empathie. Et quand la parole devient plus difficile à un stade avancé de la maladie, il faut apprendre à communiquer par d’autres moyens, comme par l’utilisation du non verbal, par le regard, le toucher… »
L’histoire de vie
La professeure de l’UQTR propose un pas de plus dans l’humanisation des soins, soit d’effectuer des liens avec le vécu de la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer : « Même si la maladie enveloppe la personne, son essence existe toujours. Et cette essence prend son sens dans l’histoire de vie. » Ce pourrait être, par exemple, pour une personne qui aime la musique, de lui faire entendre des chansons qu’elle appréciait.
Également, il ne faut pas voir la répétition chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer comme seulement des mots répétés sans aucun sens. « La répétition fait souvent allusion à l’histoire de vie, au vécu de la personne », explique France Cloutier qui a, entre autres, travaillé sur le phénomène de répétition chez les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Elle se rappelle d’une patiente qui, lors d’une entrevue, répétait sans cesse : « Moi, je tricote ! ». Après avoir questionné les proches, il est apparu que la dame en question avait comme passe-temps de tricoter des bas en laine pour son mari et ses fils. « Cette répétition a pris un tout autre sens pour les intervenants et nous lui avons donné des broches et de la laine, et elle s’est mise à tricoter », relate la chercheuse.
Des situations comme celle-là, reliées à l’histoire de vie, France Cloutier peut en raconter plusieurs. Comme cette personne, à un stade avancé de la maladie qui, lors des soins d’hygiène, avait un éclair de lucidité quand on lui glissait la main dans les cheveux. « Les intervenants se sont rendu compte qu’elle avait été coiffeuse toute sa vie. Cela nous a démontré que des liens existent entre le comportement et l’histoire de vie d’une personne », soutient-elle.
Trouver ce sens issu de l’histoire de vie n’est pas toujours facile. « Il faut être persévérant et créatif, et se rappeler que le mot “personne” est un terme signifiant qui évoque l’humanité et qui transcende le corps et toute maladie », rappelle France Cloutier.