Il a été suggéré que les personnes atteintes de troubles mentaux graves (TMG) sont surreprésentées dans les établissements correctionnels canadiens. Des recherches ont également révélé que la prévalence des TMG en milieu correctionnel dépasse de beaucoup celle de la population générale.
Elle serait encore plus élevée chez les délinquants condamnés pour homicide que chez les autres délinquants. Cela est particulièrement vrai pour les diagnostics du spectre de la schizophrénie. En fait, le lien établi entre l’homicide et les TMG est l’une des quatre approches qu’utilise Hodgins (2001) pour faire une synthèse des liens qui unissent les TMG au comportement criminel ou à la violence. Cependant, des travaux récents auprès des détenus dans les services correctionnels fédéraux donnent à penser que la prévalence de TMG serait en diminution chez les détenus condamnés pour homicide.
À la suite des amendements de la loi que régissent la non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (NCRTM), on peut faire l’hypothèse que cette modification ait contribué à la baisse de la prévalence des TMG dans les services correctionnels, spécifiquement pour les individus atteints d’un trouble psychotique. L’application des modifications législatives apportées au Code criminel du Canada en 1992 ont permis au système de traiter les détenus souffrant de TMG d’une manière plus juste et plus efficace. Le système amélioré visait à protéger les droits des patients, ce qui aurait encouragé un plus grand nombre d’accusés à présenter une défense de NCRTM.
Si les TMG chez les détenus d’homicides sont effectivement en diminution, il est vraisemblable que le profil psychosocial des personnes détenues pour homicide ait également changé par rapport à ce qui avait été observé dans le passé.
La présente étude utilise des données provenant de deux échantillons de détenus sous responsabilité fédérale qui ont été reconnus coupables de crimes liés à un homicide dans la province de Québec, recueillis pour l’un en 1988, pour l’autre entre les années 2008 à 2012. L’hypothèse est que les différences significatives autrefois observées dans la comparaison de détenus d’homicides et de détenus de non homicides ne seraient plus apparentes. Plus précisément, ceux qui ont commis un crime lié à un homicide ne présenteraient plus des taux de TMG significativement plus élevés que les autres détenus. Deuxièmement, il est vraisemblable que les personnes reconnues coupables d’un crime lié à un homicide depuis les changements apportés au Code criminel du Canada (1992) présenteraient un profil plus proche de celui des criminels de carrière plutôt que de caractéristiques liées à un TMG. Par exemple, les personnes détenues pour des accusations reliées à un homicide au cours des dernières années auront davantage de condamnations criminelles dans leurs antécédents et présenteront davantage de caractéristiques liées à la personnalité antisociale ou à la psychopathie plutôt que des caractéristiques liées à une maladie mentale non stabilisée. Par ailleurs, les détenus pour homicide, rencontrés avant la réforme du Code criminel de 1992, auront moins d’antécédents criminels et présenteront moins de caractéristiques étroitement associées à une maladie mentale non stabilisée.
Une série d’analyses descriptives et d’analyses Khi-carré ont été effectuées, suivies par des analyses de correspondance multiple (ACM). L’ACM est une technique d’analyse de données, utilisée pour détecter des structures sous-jacentes dans un ensemble de données. Les résultats de l’échantillon de 2008 à 2012 ont révélé que les personnes reconnues coupables d’un crime lié à un homicide ne présentaient pas des taux significativement plus élevés de TMG que celles qui n’avaient pas commis ou tenté de commettre un homicide. En fait, aucun cas de schizophrénie ou d’autres troubles psychotiques n’a été détecté chez ces détenus. Toutefois, ce n’est pas le cas pour les détenus rencontrés en 1988, qui avaient été reconnus coupables d’un crime lié à un homicide. Ces derniers présentent des taux de TMG significativement plus élevés que ceux qui n’ont pas commis ou tenté de commettre un homicide. Il en va de même pour l’analyse spécifique aux troubles schizophréniques alors que, en 1988, les détenus qui ont commis des crimes liés à un homicide manifestent une prévalence plus élevée de trouble schizophrénique que ceux qui n’ont jamais commis de crime lié à un homicide.
Ces observations sont réanalysées à l’aide d’ACM. Quatre profils distincts ont été développés pour l’échantillon de 1988, alors que cinq profils ont été révélés dans l’échantillon recueilli entre 2008 et 2012. Les hypothèses de départ étaient partiellement validées, montrant que le profil « homicide » de l’échantillon récemment recruté comporte significativement plus de crimes violents et non violents que le profil de l’échantillon « homicide » de 1988, plutôt caractérisé par un crime violent unique. Cependant, ceux du dernier échantillon inclus dans le profil « homicide » ayant une personnalité stable, avec troubles de l’humeur, ne montrent pas les caractéristiques de la personnalité antisociale et de la délinquance juvénile par opposition à ce qui était avancé. De plus, les données antérieures suggèrent que les détenus pour crimes liés à un homicide étaient plutôt concentrés dans deux profils types : le profil « criminel psychologiquement instable et violent » et, bien sûr, le profil de « homicide à personnalité stable avec troubles de l’humeur ». Les données les plus récentes montrent plutôt une répartition plus large des détenus pour crimes reliés à un homicide, et ce, dans trois profils types.
L’étude établit les taux actuels de TMG chez les détenus reconnus coupables de crimes liés à un homicide. Cette étude est la première depuis la réforme au Code criminel du Canada de 1992 à examiner ces taux et à créer des profils psychosociaux. Cela ajoute inévitablement du relief à la complexité des associations précédemment rapportées entre les TMG et les comportements criminels, voire violents. En outre, la présente étude permet de saisir les possibilités offertes par des analyses statistiques non linéaires, permettant de saisir davantage la complexité de l’homicide, permettant de nuancer davantage les observations. Ainsi, lors d’analyses linéaires, les troubles psychotiques sont associés de manière significative à l’homicide en 1988, alors que les analyses non-linéaires montrent qu’un profil homicide est à la fois caractérisé par des troubles majeurs de l’humeur et la présence non statistiquement significative de troubles psychotiques. Finalement, eu égard aux présentes observations, il apparait que les futures études devront tenir compte de tous les cas d’homicide sans tenir compte de leur statut (coupable et NCRTM), pour établir un lien entre les troubles mentaux graves et le comportement violent.
Thèse de doctorat en psychologie soutenue le 9 mai 2019
Membres du jury
Joao Paulo Da Silva Guerreiro, Ph. D., professeur au Département de psychologie de l’UQTR, président du jury
Gilles Côté, Ph. D., professeur retraité au Département de psychologie de l’UQTR, directeur de recherche
Dominick Gamache, Ph. D., professeur au Département de psychologie de l’UQTR, évaluateur
Anne Crocker, Ph. D., professeure, Département de psychiatrie, Université de Montréal, évaluatrice externe