Au début du film Footloose (1984), l’ordre règne dans la petite ville de Bomont. Cet ordre est toutefois bousculé lorsqu’un adolescent tente de décoincer la population en utilisant la danse, au grand dam du révérend local. Cet exemple rappelle que parfois, briser les normes sociales peut déranger certaines personnes. Élise Désilets, doctorante en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), étudie justement la sensibilité aux normes sociales à travers l’orientation politique des gens.
« J’ai commencé ma recherche à ma troisième année de baccalauréat. L’un de mes professeurs avait parlé pendant son cours d’un projet à propos de l’orientation politique, et ça m’avait beaucoup intéressée. Je suis donc allée le voir pour lui demander s’il voulait me recruter pour ce projet. Il m’a ensuite proposé de combiner mes recherches avec les travaux d’un autre professeur qui, de son côté, travaillait sur les normes sociales. Avec le temps, c’est devenu mon projet de thèse », explique Élise.
L’orientation politique est habituellement comprise comme un continuum gauche-droite : la gauche est plus associée au libéralisme, alors que la droite correspond davantage au conservatisme. Pour ce qui est des normes sociales, l’étudiante préfère donner des exemples concrets pour assurer la compréhension.
« Dans la vie de tous les jours, nous avons des attentes en ce qui a trait aux comportements des autres, par exemple saluer quelqu’un lors d’une rencontre, ou remercier une personne lorsqu’elle nous rend service. Ces attentes sont des normes sociales, qui sont en quelque sorte les règles non écrites de la vie en société. Si quelqu’un décide de ne pas saluer les gens qu’il rencontre, il n’aura pas d’amende pour ça, mais les autres peuvent le punir, par exemple en étant abruptes avec lui », indique Élise.
La doctorante en psychologie précise qu’en général, les gens ont une assez bonne capacité à remarquer les transgressions de normes sociales. Elle ajoute cependant que certaines personnes sont plus sensibles à ce genre de situations que d’autres.
« Plusieurs recherches suggèrent que plus les gens sont à droite sur l’échiquier politique, plus ils vont chercher à maintenir le statu quo. Mon hypothèse est donc que les individus de droite sont plus rigides par rapport aux normes sociales, et qu’ils s’adaptent moins facilement au changement. Par exemple, lorsqu’ils arrivent dans un pays où les normes sociales sont différentes, ils pourraient avoir plus de difficultés à s’adapter aux normes de ce nouvel environnement. Par contre, ils devraient aussi être meilleurs pour détecter les changements dans leur propre environnement », avance Élise.
Pour vérifier s’il existe un lien entre l’orientation politique et la sensibilité liée aux normes sociales, l’étudiante reçoit des participants dans les laboratoires de son groupe de recherche, le CogNAC (Cognition, Neurosciences, Affect et Comportement). Sur place, elle leur fait passer un test comportemental en trois parties, et observe leurs réponses.
« D’abord, ils remplissent un questionnaire sur leur orientation politique. Ensuite, je leur fais faire deux tâches qui les mettent dans des situations où les normes sociales ne sont pas nécessairement respectées. La première tâche consiste à évaluer des scénarios. Par exemple, si je leur dis Jason est sur la piste cyclable, et il fait du vélo, ils doivent me dire si c’est approprié ou pas. Pour la deuxième tâche, j’étudie comment ils réagissent à des offres monétaires. Les participants reçoivent des offres, par exemple un partenaire recevant 20 $ offre de leur donner 3 $, et je veux savoir s’ils vont accepter ou pas », évoque Élise.
« Jusqu’à maintenant, les résultats indiquent que plus les gens sont à droite sur le spectre politique, plus ils sont sensibles aux transgressions dans les normes sociales, ce qui concorde avec mon hypothèse », ajoute-t-elle.
Poursuivre la recherche
Actuellement à sa seconde année de doctorat, Élise entend bien pousser ses recherches encore plus loin. Bien que ses résultats corroborent son hypothèse, leur justification scientifique lui échappe.
« Je n’ai pas encore été capable de trouver de liens entre l’adaptation aux normes sociales et l’orientation politique. Toutefois, mes résultats ont apporté d’autres hypothèses quant à la manière de mesurer les variables, en plus de porter mon attention sur de nouvelles variables. J’ai aussi commencé à tester les réponses implicites des participants avec un électroencéphalogramme, afin de voir comment le cerveau se comporte quand les personnes sont confrontées aux déviations des normes sociales », souligne Élise.
Si ce projet est déjà ambitieux, la doctorante ne compte pas s’arrêter là. Elle souhaite également explorer des pistes complémentaires à ses travaux.
« Je songe à entreprendre un autre projet, qui n’est pas directement relié à ma thèse, mais qui pique ma curiosité. Je voudrais étudier la transmission intergénérationnelle des normes sociales, donc voir si une mère peut transmettre à ses enfants sa sensibilité et sa capacité d’adaptation aux normes sociales à ses enfants. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas m’ennuyer au cours des prochaines années ! », conclut Élise.
Ceux et celles qui souhaiteraient participer à l’étude d’Élise sur les normes sociales et l’orientation politique peuvent la contacter par courriel au elise.desilets@uqtr.ca.