Dans cette analyse de l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) de 2013 à 2018, deux professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et chercheurs à l’Institut de recherche sur les PME, Étienne St-Jean et Marc Duhamel, présentent l’évolution de l’entrepreneuriat chez les jeunes du Québec, c’est-à-dire le groupe des 18-34 ans. Ils y abordent différents points : la culture entrepreneuriale, le rapport personnel face à l’entrepreneuriat, la dynamique entrepreneuriale des territoires et l’ambition des entrepreneurs émergents.
Vers une baisse de l’entrepreneuriat des jeunes ?
En ce qui concerne la valorisation de la profession d’entrepreneur ou le statut qui lui est accordé, les chercheurs observent une différence entre les jeunes du Québec et ceux des autres provinces. « En effet, bien que la culture entrepreneuriale soit assez stable dans le temps, la valorisation de la profession est plus forte chez les groupes plus âgés que chez les plus jeunes au Québec. Et inversement, les plus jeunes sont ceux qui valorisent le plus l’entrepreneuriat dans le reste du Canada », selon le professeur St-Jean. De plus, en suivant l’évolution dans le temps les chercheurs remarquent une forte baisse de cette valorisation chez les jeunes de 18 à 24 ans au Québec entre 2016 et 2018, puisque le pourcentage estimant l’entrepreneuriat comme bon choix de carrière est passé de 80 % à 67,9 %. Chez les 25-34 ans, ils observent plutôt une augmentation constante de cette proportion depuis 2016.
Les auteurs soulignent une baisse importante en 2018 de plusieurs indicateurs servant à mesurer l’intention d’entreprendre et l’activité entrepreneuriale, et ce, autant chez les 18-24 ans que chez les 25-34 ans. Ces derniers sont aussi plus disposés à démarrer une entreprise que les 18-24 ans, mais ils ne s’engagent pas plus. Les deux professeurs posent les hypothèses que cela pourrait être causé par les obligations familiales de ce groupe d’âge ainsi que par la pénurie de main d’œuvre qui caractérisait le contexte économique de cette période.
Deux autres points à souligner sur les attitudes des jeunes au Québec. D’abord, ils ont une plus grande sensibilité à l’aspect social que les plus vieux, avec un taux de visibilité de l’entrepreneuriat social de 56,2 % chez les 18-24 ans et de 62,9 % chez les 25-34 ans, tandis que ces taux se situent entre 37,5 % et 45,1 % chez les tranches d’âge plus vieilles. Ensuite, en comparant les genres, les chercheurs remarquent que les jeunes femmes ont une forte culture entrepreneuriale, mais s’estiment en général moins compétentes que les jeunes hommes. En conséquence, elles passeraient moins à l’action.
Des données préoccupantes : l’entrepreneuriat hybride des jeunes
L’entrepreneuriat hybride, soit le fait de s’engager dans l’entrepreneuriat tout en conservant un emploi salarié (à temps plein ou temps partiel), continue de préoccuper les chercheurs. On observe une grande proportion d’entrepreneurs émergents hybrides chez les jeunes de 18 à 34 ans (90,8 %), une proportion plus importante que dans le reste du Canada (78,9 %) pour ce même groupe d’âge, ou que chez les gens de 35 à 64 ans (75,5 %). Le professeur Duhamel remarque que « ce plus faible intérêt envers l’entrepreneuriat que dans le reste du pays, conjugué à plusieurs facteurs socio-économiques chez les jeunes, comme le resserrement du marché travail qui favorise l’emploi relativement à l’activité entrepreneuriale, fait en sorte que les jeunes s’engagent dans l’entrepreneuriat de manière beaucoup plus timide que les plus âgés ou même les jeunes des autres provinces ».
Un bon classement international
Sur une note plus positive, les jeunes québécoises et québécois se situent très bien à l’international en termes de création d’entreprise. Ils sont très dynamiques et se classent au quatrième rang parmi les pays mis en comparaison, dépassant même les États-Unis. Les entrepreneurs québécois du groupe des 18-35 ans seraient aussi plus innovants que leurs homologues du reste du Canada, ainsi que ceux des groupes plus âgés. Ils auraient une plus forte propension à se tourner vers l’international ainsi que vers les consommateurs, plutôt que de viser le secteur des services aux entreprises, qui est plus prisé des entrepreneurs âgés de plus de 35 ans.
Le Global Entrepreneurship Monitor (GEM)
L’enquête du GEM constitue la plus grande étude comparative portant sur le dynamisme entrepreneurial dans le monde. Jusqu’à aujourd’hui, près d’une centaine d’équipes nationales se sont investies à mesurer l’activité entrepreneuriale aux quatre coins du globe. Depuis 2013, le volet québécois de cette enquête est présenté par des chercheurs de l’INRPME à l’UQTR. Afin de recueillir les données, les chercheurs font répondre un échantillon d’un minimum de 2 000 adultes au Canada et plus de 400 adultes au Québec à un questionnaire standardisé. Les données sont traitées par les experts de l’équipe internationale, pour être finalement acheminées aux équipes nationales afin que celles-ci puissent produire leur rapport.
Le rapport sur la Situation des jeunes entrepreneurs du Québec : 2013-2018 a pu être produit grâce à la collaboration de l’équipe canadienne du GEM et au soutien financier de la Chaire-réseau de recherche sur la jeunesse du Québec (CRJ). Le rapport est disponible ici.