Non, ces œuvres n’ont pas été créées dans le cadre d’un programme en arts visuels. Elles sont plutôt nées du travail de Dominic Rochon, professeur au Département de mathématiques et d’informatique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Plus que de simples éléments esthétiques, ses créations sont une manifestation concrète de toute une branche des mathématiques.
« Avant tout, j’ai commencé à pratiquer cet art parce que j’étais attiré par la beauté des mathématiques. Parfois, les gens ont du mal à comprendre à quel point il y a quelque chose de magnifique en elles, parce que tout ce qu’ils voient, ce sont des calculs. C’est vrai qu’il y a un aspect technique associé à ce domaine, mais la mathématique fondamentale, c’est de l’art en soi », affirme-t-il.
Plus particulièrement, Dominic Rochon tire son inspiration de la branche des fractales. Tiré du latin fractus (brisé, fragmenté), le mot « fractale » fait référence à tout un pan de la géométrie développé dans les années 1980, avec comme figure de proue Benoît Mandelbrot.
« Pour Mandelbrot, la fractale est en quelque sorte la géométrie de la nature, parce qu’il n’y a rien de droit dans l’univers. La plus belle représentation naturelle d’une fractale, c’est la fougère. Quand on la regarde de plus près, on se rend compte que la branche de fougère ressemble à la plante au complet, que la feuille de fougère ressemble à la branche au complet ; on appelle ça le principe d’autosimilarité », explique le professeur.
L’importance de la passion
Si M. Rochon est aujourd’hui fasciné par ce qu’il fait, il n’en a pas toujours été ainsi. Plus jeune, le professeur de mathématiques ne performait pas très bien à l’école. Il préférait en effet passer son temps à jouer (notamment aux Lego). C’est tout à fait par hasard qu’il a découvert sa passion pour l’art fractal.
« Lorsque j’étais au secondaire, j’écoutais l’émission Découverte à Radio-Canada. À un moment donné, je suis tombé sur un reportage sur la fractale. En voyant les images, j’ai tout de suite été passionné. Ce nouvel intérêt a fait en sorte que je suis devenu bon en mathématiques. Ainsi, une douzaine d’années plus tard, je complétais mon doctorat en mathématiques fondamentales », raconte-t-il.
« Au cours de mes études, je me suis intéressé à l’ensemble de Mandelbrot. À première vue, il s’agit seulement d’une forme cardioïde avec une petite boule ; mais si l’on regarde de plus près, on réalise que c’est l’ensemble le plus incroyable que l’on puisse imaginer ! Dans ma thèse de doctorat, je voulais transposer cet ensemble dans la troisième dimension. J’ai proposé une solution, que j’ai appelée Tétrabrot, mais comme mathématicien, je ne pense pas que la réponse soit unique. C’est ce qu’il y a de beau dans tout ça », ajoute le professeur.
Un art collaboratif
L’art fractal fait appel à toute une panoplie de logiciels spécialisés. À l’origine, ces logiciels ont comme fonction première de traiter des formules mathématiques. Or, comme ces outils sont conçus pour la recherche scientifique, les contributeurs sont multiples.
« Au cours des 10 dernières années, la capacité des logiciels s’est beaucoup améliorée. Aujourd’hui, c’est possible de faire en une heure des calculs qu’un ancien ordinateur aurait mis un mois à exécuter. Évidemment, les logiciels que j’utilise sont le fruit d’efforts collectifs, en particulier de la part des étudiants ici à l’UQTR », souligne M. Rochon.
« Pour les formules, j’aime bien utiliser les miennes. Il y a un côté artistique unique dans le fait de créer ses propres formules pour générer des formes. Il m’arrive cependant d’utiliser des formules partagées par la communauté fractale, ou de faire des hybrides avec mes formules. Parfois, j’ai une bonne idée du résultat final, et d’autres fois, c’est une surprise ! », complète-t-il.
Pour enrichir ses tableaux, M. Rochon aime bien intégrer ses propres photos à ses créations. En ajoutant des nuages, par exemple, il parvient à créer des amalgames surréalistes. Le professeur demeure néanmoins modeste quant à son travail.
« Oui, on peut trouver ce que je fais très beau, mais une part importante de tout ça vient de la machine. Je serais le dernier à me vanter, d’autant plus qu’il y a toute une communauté qui participe indirectement à ma création. Ce qui est bien par contre, c’est qu’il y a peu de domaines artistiques qui sont aussi communautaires », commente-t-il.
Une vision plus globale
Pour M. Rochon, la science et l’art ne sont pas deux disciplines aux antipodes. Au contraire, le professeur est en faveur d’un rapprochement entre ces deux mondes.
« Je pense qu’il faut cesser de séparer les domaines en silos, et tenter d’unir nos visions. C’était comme ça à l’époque de Pythagore, où les mathématiciens étaient aussi des artistes. C’est le développement phénoménal de la science qui a causé cette séparation. D’un point de vue technique, cela nous a permis de faire des découvertes importantes, mais je ne crois pas que ce soit bon d’un point de vue humain », avance-t-il.
Pour illustrer ses propos, M. Rochon donne en exemple l’architecte catalan Antoni Gaudí, dont l’œuvre marie particulièrement bien l’expression artistique et le calcul mathématique. Il indique en outre que l’art et la science donnent beaucoup plus à voir lorsqu’elles marchent ensemble.
« Souvent, je vais donner un visage à quelque chose que, d’un point de vue scientifique, je ne comprends pas encore complètement. Le plus beau, c’est quand mon approche créative mène à des découvertes scientifiques. Parfois, mon exploration artistique me donne des perspectives auxquelles je n’aurais jamais pensé en restant rationnel. La création permet vraiment de réfléchir autrement », conclut-il.