L’accident vasculaire cérébral (AVC) est l’une des causes principales d’incapacité chez l’adulte dans le monde. Il entraîne souvent une paralysie d’un ou plusieurs membres d’un seul côté du corps. La personne atteinte doit alors effectuer des exercices de réadaptation avec l’aide d’équipes soignantes, pour espérer un retour à la mobilité. Toutefois, en raison du manque actuel de ressources en santé, les traitements requis ne peuvent pas toujours être offerts à la fréquence optimale. Mis au fait de cette situation, le professeur et spécialiste en ingénierie biomédicale François Nougarou de l’UQTR s’est donné pour mandat de développer un appareil électronique innovant que les patients pourront utiliser eux-mêmes pour améliorer leur réadaptation, en complément des autres soins prodigués. Ce système sophistiqué permet de garder en éveil les fonctions motrices du cerveau liées au membre paralysé, afin de favoriser la récupération du mouvement.
« Lorsqu’un bras, par exemple, cesse de bouger en raison d’une paralysie, la zone du cerveau correspondant aux mouvements du bras a tendance à s’atrophier, faute d’utilisation. Plus le temps passe, plus les fonctions motrices du cerveau seront difficiles à récupérer et plus la réadaptation sera ardue. Il faut donc garder éveillée la zone du cerveau responsable des mouvements du bras atteint, et ce, le plus rapidement possible après l’AVC. Pour ce faire, j’ai conçu un appareil qui stimule la zone visée du cerveau en lui faisant croire que le membre paralysé bouge toujours, bien que celui-ci soit immobile », explique François Nougarou.
Un bracelet vibrant pour leurrer le cerveau
Mais comment générer une illusion de mouvement pour duper le cerveau? « Le système sur lequel nous travaillons est basé sur la stimulation sensorielle par vibration des tendons, précise le chercheur. Nous avons créé un bracelet électronique que nous plaçons autour du poignet. Ce bracelet est composé de plusieurs moteurs vibrants positionnés à des endroits stratégiques. En faisant vibrer ces moteurs à une fréquence précise, nous pouvons reproduire une sensation de mouvement spécifique du membre. Le cerveau a alors l’impression que le poignet bouge dans les directions que nous lui indiquons, grâce au bracelet. »
Il existe déjà des systèmes utilisant la vibration musculotendineuse, mais ces derniers sont coûteux, ne génèrent que des illusions de mouvements simples et ne sont pas pensés pour une réelle utilisation clinique. « Notre projet vise à créer un appareil plus accessible et particulièrement évolué, qui permet de donner l’illusion de gestes beaucoup plus complexes, comme tourner le poignet ou bouger en diagonale. Pour l’instant, nous nous attardons au poignet, mais nous voulons créer un système pouvant s’adapter à d’autres endroits du corps. Dès qu’il y a un muscle qui s’attache sur un os, c’est qu’il y a présence d’un tendon que nous pouvons faire vibrer pour créer la sensation de mouvement », indique le professeur Nougarou, rattaché au Département de génie électrique et de génie informatique de l’UQTR.
Un appareil utilisable par le patient
Le bracelet conçu par François Nougarou fonctionne : « C’est assez extraordinaire à vivre, lance-t-il avec enthousiasme. C’est incroyable de ressentir un mouvement sans que notre bras bouge. Mais ce n’est qu’une partie du projet. Nous voulons aussi que ce soit le patient lui-même qui puisse contrôler le bracelet et faire varier les illusions de mouvement, pour exercer son cerveau. »
Pour atteindre cet objectif, le professeur Nougarou doit donner au patient le moyen d’envoyer des instructions au bracelet vibrant. « Chez les personnes ayant subi un AVC, la paralysie se présente souvent sur un seul côté du corps. Nous allons donc installer sur le bras non paralysé du patient des capteurs d’activité musculaire. Les signaux issus de ces capteurs nous permettent, à partir de méthodes d’intelligence artificielle, de détecter les mouvements effectués par le bras sain. Nous reproduisons ensuite l’illusion de ces mouvements avec le bracelet vibrant dans le bras paralysé, et ce, en temps réel », précise-t-il.
Avec ce système novateur, le patient pourra donc effectuer naturellement des gestes variés de son bras valide et ressentir la même impression de mouvements dans son membre paralysé. Ce système de détection de mouvements peut aussi être très simplement installé sur le bras d’une autre personne, comme un proche. « L’idée, c’est que l’appareil permette au patient de suivre un protocole de réadaptation en tout temps, même lorsque le professionnel de la santé n’est pas présent. Les chances de récupération de la mobilité s’en trouvent ainsi améliorées », commente François Nougarou.
Grâce à un important travail de développement technologique, le chercheur est arrivé à mettre au point le système souhaité. « Je réussis à interpréter les signaux de l’activité musculaire d’un avant-bras et à produire l’illusion des gestes ainsi détectés dans l’autre bras avec le bracelet vibrant. Tout ça, en temps réel. Je l’ai testé et ça fonctionne très bien », constate-t-il.
Capter les signaux du cerveau
Le projet du professeur Nougarou ne s’arrête pas là. Il veut maintenant évaluer de façon objective la sensation de mouvement générée dans le cerveau. « Pour l’instant, je dois me fier aux commentaires de l’utilisateur du bracelet vibrant, pour savoir ce qu’il ressent comme impression de mouvement. Mais ça demeure une information subjective, variant d’une personne à l’autre. Pour obtenir des renseignements objectifs sur les mouvements ressentis, je vais utiliser des capteurs qui mesurent l’activité électrique du cerveau. Je veux ainsi lire les signaux du cerveau pour y détecter l’illusion de mouvement. Je pourrai alors m’assurer du bon fonctionnement du bracelet vibrant. C’est la portion la plus complexe du projet, et c’est celle qui m’occupe le plus actuellement », rapporte-t-il.
En utilisant ce procédé, le chercheur veut aussi étudier les signaux d’activité cérébrale chez des personnes saines, pour établir un modèle de référence quant aux illusions de mouvements. « Nous pourrons ensuite générer des impressions de mouvements chez un patient, pour vérifier ce qui se passe dans son cerveau et le comparer avec notre modèle. Cela nous permettra de voir si la personne paralysée ressent bien ou pas un certain mouvement et d’établir un diagnostic de son état. Au fil du temps, notre système pourrait même produire un pronostic et nous renseigner sur les probabilités de récupération du patient », espère le professeur Nougarou.
Une innovation aux multiples possibilités
Les travaux avant-gardistes de François Nougarou n’entraîneront pas des retombées que pour les victimes d’AVC. Les personnes dans le coma ou ayant un membre immobilisé pendant une longue période, en raison d’une blessure, pourraient aussi bénéficier de l’appareillage développé par le chercheur. « La création d’illusions de mouvements montre aussi un important potentiel d’application du côté de la réalité virtuelle et des jeux vidéo. C’est donc tout un monde qui s’ouvre à nous », fait-il remarquer.
Allier les disciplines pour améliorer la santé humaine
L’expertise du professeur Nougarou relève de l’ingénierie. Mais pour développer et tester ses outils, il collabore étroitement avec des chercheurs du domaine de la santé : « Pour la mise au point du système lié aux illusions de mouvements, je travaille tout particulièrement avec le professeur et spécialiste en neuroréadaptation Louis-David Beaulieu du Département des sciences de la santé de l’Université du Québec à Chicoutimi. En partenariat avec lui, nous allons tester notre appareil auprès de réels patients ayant souffert d’un AVC. »
Les professeurs Nougarou et Beaulieu ont obtenu récemment différents financements pour leur projet de recherche. Il s’agit de fonds en provenance du Réseau intersectoriel de recherche en santé de l’Université du Québec, ainsi que d’une prestigieuse subvention fédérale Nouvelles frontières en recherche – Exploration qui soutient les travaux ambitieux à fort niveau d’impact.
Pour réaliser le système d’illusions de mouvements, François Nougarou œuvre aussi en collaboration avec des chercheurs en santé de l’UQTR, comme les professeurs en sciences de l’activité physique Martin Descarreaux et Jacques Abboud ainsi que le professeur Mathieu Piché du Département d’anatomie. Le professeur en génie électrique et génie informatique Daniel Massicotte figure aussi parmi ses collaborateurs, de même que Ahmed Khélifi, agent de recherche en génie électrique et génie informatique. Ajoutons que le professeur Nougarou est membre du Laboratoire des signaux et systèmes intégrés (LSSI) et du Groupe de recherche en électronique industrielle (GREI) de l’UQTR.