Essayez d’éviter les coups de soleil cet été, « non seulement pour réduire les dommages à l’ADN causés par les rayons UV, mais aussi pour limiter la prolifération de vos cellules souches », dit Patrick Narbonne, professeur au Département de biologie médicale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Pas que le lien de cause à effet soit instantané, mais le rôle des cellules souches dans l’apparition de tumeurs cancéreuses est la piste que suit le chercheur de l’UQTR.
Le processus biologique est complexe, il se situe au niveau moléculaire. Pour mieux le comprendre, prenons justement l’exemple de la personne ayant un coup de soleil, qui est en fait une blessure de la peau s’apparentant à une brûlure. À la suite de cette blessure, un signal moléculaire est envoyé afin d’activer la production – ou, plutôt, la prolifération – des cellules souches en vue de réparer le tissu affecté. Cette réponse tissulaire implique une réplication (ou dédoublement) des cellules souches, dont certaines vont ensuite se différencier pour régénérer le tissu endommagé. Quand elles prolifèrent, c’est à ce moment que les cellules souches peuvent subir des mutations et, au fil des années et des coups de soleil, les accumuler pour évoluer vers un cancer de la peau.
« Le dérèglement se fait lors de la prolifération des cellules souches. Quand celles-ci se répliquent, leur mécanisme de « copier-coller » est imparfait et elles peuvent acquérir des mutations ou des changements épigénétiques », précise le titulaire de la Chaire de recherche UQTR sur la régulation homéostatique des cellules souches et le cancer. Son équipe cherche à comprendre le mécanisme régulant le rythme de prolifération des cellules souches, afin d’éventuellement ouvrir des portes pour manipuler cette prolifération, en l’inhibant ou en la stimulant, en vue de traiter des cancers ou encore certaines maladies dégénératives.
Comprendre la prolifération des cellules souches
L’objectif général qui sous-tend les recherches de Patrick Narbonne est de comprendre comment la prolifération des cellules souches est régulée dans un organisme vivant. Pour l’instant, l’organisme vivant avec lequel il travaille est un nématode appelé C. elegans. Ce petit ver transparent permet, entre autres, d’étudier le comportement des cellules souches de façon efficace au sein d’animaux vivants, sans avoir à exécuter des dissections complexes.
« D’abord, nous savons que la voie de signalisation activée par l’insuline/IGF-1 est importante pour la croissance des organismes. En réponse à un apport alimentaire, cette voie stimule la prolifération des cellules souches en activant des voies métaboliques », explique le chercheur de l’UQTR. Tandis que cette stimulation par l’insuline est quotidienne à travers notre alimentation, la prolifération des cellules souches, elle, n’est pas constante et suit aussi les besoins tissulaires. Cela implique que le signal rétroactif provenant des tissus prévaut sur la signalisation insuline/IGF-1.
Ainsi, malgré une alimentation normale, les cellules souches d’une peau saine prolifèreront au ralenti. À l’inverse, dans le cas du coup de soleil, la perte de tissus va permettre à l’insuline/IGF-1 de stimuler la prolifération des cellules souches pour « répondre à la demande » en cellules différenciées, en vue de réparer l’épiderme. C’est cette augmentation de la prolifération des cellules souches qui accroîtrait indirectement le risque de développer un cancer. Le professeur Narbonne précise : « Évidemment, il ne faut pas paniquer lorsqu’on prend un coup de soleil, mais c’est certain qu’à long terme, on pousse la balance du mauvais côté. »
« Nous avons donc des mécanismes qui régulent la prolifération des cellules souches et les empêchent de se diviser lorsque ce n’est pas nécessaire, ce qui nous protégerait justement contre l’accumulation de mutations et, conséquemment, le développement de tumeurs cancéreuses », soutient celui qui essaie de comprendre ce mécanisme de rétroaction entre les cellules différenciées et les cellules souches à l’échelle moléculaire.
Le chercheur de l’UQTR a découvert qu’il n’y a pas seulement l’insuline/IGF-1 qui agit sur la prolifération des cellules souches. Minimalement, un autre signal va coupler la prolifération aux besoins tissulaires, à savoir la voie dont l’effectrice principale est Mitogen-Activated Protein Kinase (MAPK), une enzyme impliquée dans la régulation homéostatique des cellules souches. « Jusqu’ici, on ne savait pas trop comment MAPK stimulait la prolifération des cellules souches. Maintenant, on en a une idée plus claire », ajoute-t-il.
Dans un article publié récemment dans Cell Reports, le professeur Narbonne démontre, en collaboration avec Dre Judith Kimble (University of Wisconsin – Madison), que la protéine MAPK promeut la prolifération des cellules souches de façon surprenante, exclusivement depuis des tissus voisins de ces dernières. « C’est la première fois qu’on arrive à démontrer clairement que la régulation de la prolifération des cellules souches puisse se faire de façon aussi indirecte, par l’activité d’une enzyme dans un autre tissu de l’animal », avance-t-il. Il s’agit ainsi d’une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes qui régulent le rythme de prolifération des cellules souches.
Propagation des métastases
Dans une tumeur, il y a ce qu’on appelle des « cellules souches cancéreuses », qui sont responsables de la propagation des métastases vers d’autres tissus. Ces cellules souches cancéreuses proviendraient de cellules souches normales qui se seraient déréglées au fil des divisions et des années, et de façon accélérée quand les cellules souches sont sur-sollicitées et se divisent plus souvent que la normale.
« En accord avec nos travaux, on observe souvent une suractivation de la voie MAPK dans les tumeurs cancéreuses. On s’attendrait alors à ce que MAPK supporte la prolifération des cellules souches cancéreuses, non pas depuis les cellules souches cancéreuses elle-même, mais plutôt de façon non-autonome, soit à partir de leur progéniture différenciée, ou encore depuis des cellules voisines de la tumeur. Ainsi, les traitements anticancéreux qui inhibent la voie MAPK ne fonctionneraient peut-être pas directement sur les cellules souches cancéreuses, et il pourrait être souhaitable d’inhiber MAPK dans un tissu voisin de la tumeur qui servirait de support aux cellules souches cancéreuses », conclut Patrick Narbonne.