Alors que les enjeux de transport durable prennent de plus en plus de place dans l’espace public, Julia Frotey, stagiaire postdoctorale à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), entamera cet hiver un projet de recherche sur l’essor de la recharge intelligente pour véhicules électriques au Québec. En raison du fort potentiel de son projet, la principale intéressée a reçu une bourse Banting du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), qui lui garantit un financement de 70 000 $ par année pour une période de deux ans.
Le Programme de bourses Banting offre un financement aux meilleurs candidats postdoctoraux, afin qu’ils contribuent à l’essor économique, social et scientifique du Canada. Les bourses Banting leur donnent ainsi la possibilité de développer leur potentiel, de manière à favoriser leur réussite en tant que futurs chefs de file en recherche.
Le concours pour l’obtention de ces bourses est par ailleurs très compétitif : si 198 chercheurs avaient soumis leur candidature pour la bourse, seulement 23 d’entre eux ont reçu une réponse positive. Le CRSH souligne ainsi le mérite individuel de Julia, et reconnaît ses chances d’entreprendre une carrière fructueuse axée sur la recherche.
« Les étudiants qui ont les dossiers pour décrocher une bourse Banting peuvent faire un postdoctorat là où ils le veulent. Et Julia nous a choisis », rappelle fièrement Loïc Boulon, professeur au Département de génie électrique et génie informatique.
Un projet tourné vers l’avenir
Nouvellement diplômée du doctorat en aménagement de l’espace et urbanisme de l’Université de Lille (France), Julia a fait son arrivée à l’UQTR au début du mois de décembre. Forte d’une expérience de recherche sur les réseaux de bornes de recharge pour véhicules électriques, la postdoctorante est bien au fait que leur implantation donne lieu à des enjeux de société et d’infrastructures. Pour cette raison, elle accorde une attention particulière aux politiques publiques et à la planification territoriale qui encadrent leur mise en place.
« Dans ma thèse, je me suis intéressée au déploiement de l’infrastructure de recharge pour voitures électriques dans la région des Hauts-de-France. En plus de répertorier les réseaux existants, j’ai documenté le type d’infrastructure qui avait été sélectionné, les emplacements qui avaient été choisis, et le projet politique qui avait mené à leur essor. Le fait est qu’en marge du développement des bornes, il y a des intérêts qui s’entrechoquent, créant de la concurrence entre les acteurs régionaux de l’électromobilité », explique Julia.
Pendant ses études doctorales, l’urbaniste s’est jointe au programme CUMIN (Campus universitaire à mobilité innovante et neutre en carbone), au sein duquel s’établissait une dynamique de recherche entre l’Université de Lille et l’UQTR. Elle a ainsi eu l’opportunité de présenter ses résultats de thèse à des chercheurs trifluviens, avec qui elle a eu envie de poursuivre son parcours.
Ayant développé son expertise sur le terrain français, Julia souhaite désormais confronter son approche à la réalité québécoise. Son postdoctorat, qui constitue pour elle une expérience internationale, lui permettra ainsi de découvrir une réalité totalement différente, avec un climat et une culture d’aménagement qui lui est propre. Cette expérience lui permettra aussi d’aborder les nouveaux développements qui entourent la mobilité électrique.
« Je pense que mon déracinement va me permettre de mettre mon sujet à jour. Quand j’ai commencé à étudier l’infrastructure de recharge, les bornes n’étaient pas connectées à Internet. Aujourd’hui, quasiment toutes les stations installées en France sont connectées au réseau sans fil, afin de pouvoir être contrôlées à distance. Elles deviennent donc des objets connectés, qui envoient et reçoivent des données. Mon postdoctorat me permettra d’analyser les usages qui découlent de cette nouveauté », précise Julia.
« L’UQTR compte dans ses rangs des chercheurs qui ont une expertise technique dans ce domaine, notamment en ingénierie. Or, l’intérêt de mon projet de recherche, c’est qu’il examine cette technologie sous la loupe des sciences humaines, en abordant des thèmes comme l’acceptabilité. Le contrôle à distance des bornes pourrait par exemple suspendre la recharge lorsqu’il y a des pics de demande sur le réseau électrique. Comme cela aurait un impact négatif sur le niveau de recharge de la batterie, l’usager pourrait avoir l’impression de perdre le contrôle sur ses déplacements. C’est sans compter les enjeux de gestion des données personnelles suscités par les objets connectés », ajoute-t-elle.
Encadrement et mobilisation
Lorsqu’elle entamera son projet de recherche à l’UQTR, Julia sera dirigée par Sylvie Miaux, professeure au Département d’études en loisir, culture et tourisme, et par M. Boulon. La professeure Audrey Groleau, du Département des sciences de l’éducation, sera également impliquée dans son encadrement.
« En ce qui concerne ce projet, j’ai en quelque sorte un rôle de « liant » entre les différentes disciplines. Dans mon domaine (la didactique des sciences), on parle de méta-expertise : je ne maîtrise pas tout, mais je suis capable de faire des liens, et de comprendre chaque aspect de la recherche », soutient Mme Groleau.
La professeure note que les recherches de Julia se situent au carrefour des sciences et des sciences humaines. Mme Groleau assure cependant bien connaître les deux cultures, puisqu’elle détient un baccalauréat en physique, ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en didactique.
« Le projet de Julia est très interdisciplinaire. L’interdisciplinarité est justement l’un de mes champs d’intérêt en enseignement et en recherche. Je suis donc très à l’aise avec le travail en interdisciplinarité, et sur les manières de le faciliter. Travailler en interdisciplinarité peut parfois s’avérer complexe, et je pense que Julia, malgré son expérience, sera rassurée de savoir que je peux agir comme facilitatrice », avance-t-elle.
En plus de permettre la rencontre entre plusieurs disciplines, le stage postdoctoral de Julia mettra en évidence les expertises méconnues de certains chercheurs de l’UQTR.
« C’est un peu particulier, parce que Julia a une formation en aménagement et urbanisme. Bien que l’UQTR n’offre pas de programme dans ce domaine, j’ai moi-même un doctorat en géographie et en aménagement. De cette formation découle mon intérêt pour le développement durable, et notamment la question de la mobilité active. Comme je mène des recherches sur ces enjeux, j’ai pu rattacher Julia au Laboratoire en loisir et vie communautaire, dont je suis la codirectrice », remarque Mme Miaux.
Fait intéressant, ce laboratoire est lui-même rattaché au Laboratoire Associé International eCAMPUS (Electro-mobilité pour CAMPus d’Universités Soutenables), qui rassemble quatre groupes de recherche de l’Université de Lille et de l’UQTR. L’Institut de recherche sur l’hydrogène (IRH) fait également partie de ce regroupement. Cette association permet à M. Boulon de superviser les aspects du projet de Julia qui relèvent du matériel.
« Historiquement, le Laboratoire en loisir et vie communautaire a mené plusieurs travaux sur la mobilité. Finalement, c’est assez naturel que l’un de ses membres se penche sur des enjeux tels que la mobilité au sein d’un campus, le transport en commun et l’électrification des transports. C’est en continuité avec les activités déjà en place », indique M. Boulon.
Constatant la pertinence du projet de Julia, Mme Miaux a demandé à ce que la postdoctorante puisse intervenir dans certains de ses cours.
« Ce projet fait écho aux efforts déployés par l’Université pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050. La place importante qu’occupe le développement durable dans la dernière mouture du plan stratégique de l’établissement témoigne d’une réelle volonté de se réinventer. À ce titre, le postdoctorat de Julia arrive à point nommé. Il s’agit d’une formidable opportunité, tant pour elle que pour nous », conclut-elle.
Une thèse récompensée
L’excellence de la thèse de Julia lui a valu le Prix Valorisation MESHS Junior 2021, remis par la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société (MESHS). Ce prix régional, qui récompense les recherches interdisciplinaires, permettra à Julia de valoriser les résultats de sa thèse, et de les diffuser auprès du public.