Depuis une dizaine d’années, le professeur Kodjo Agbossou du Département de génie électrique et génie informatique de l’UQTR met son expertise scientifique au service du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), afin d’aider les éleveurs aux prises avec des problèmes de tensions parasites. Ces ennuis électriques peuvent importuner les animaux de la ferme et ralentir la production, « d’où l’importance d’en trouver rapidement la cause et d’appliquer des solutions », indique le chercheur.
Mais qu’est-ce qu’une tension parasite? Selon le guide pratique Les tensions parasites à la ferme publié en 2005 par Hydro-Québec, le MAPAQ et l’Union des producteurs agricoles (UPA), il s’agit de « toute différence de tension (volt) enregistrée entre deux points susceptibles d’être touchés par un animal et qui peut occasionner une circulation de courant qui affecterait son comportement. Les animaux réagissent au courant produit par une tension et non à la tension elle-même ».
Et d’où viennent les tensions parasites? « Dans les fermes, il y a beaucoup d’appareils électriques et de moteurs. Si ces équipements ne fonctionnent pas bien, ils peuvent générer de petites tensions électriques dans l’environnement. Pour l’humain, cela ne cause aucun problème. Mais parfois, ces tensions parasites dérangent des animaux ou modifient leurs agissements », explique le professeur Agbossou.
Dans certains cas, les tensions parasites proviennent aussi du système de mise à la terre. Suivant le Code de l’électricité, toutes les structures métalliques d’un bâtiment doivent être reliées à la mise à la terre, qui protège les êtres vivants de l’électrocution en cas de malfonctionnement électrique. Ce raccordement engendre toutefois une tension résiduelle très faible, pouvant varier de quelques millivolts à 10 volts.
« Si une vache, par exemple, touche en même temps le sol et un abreuvoir métallique porteur d’une tension parasite, la différence de voltage entre les deux points de contact entraîne une circulation de courant dans le corps de l’animal. Ce type de courant, plutôt faible, n’incommode pas l’être humain parce que ce dernier présente une résistance suffisante, d’environ 10 000 ohms. Mais la vache offre une résistance 20 fois moins grande. Elle est donc plus sensible aux tensions parasites et peut être ennuyée par un courant aussi faible que quelques milliampères », illustre le chercheur.
Trouver la source du problème
Les animaux d’élevage entrent régulièrement en contact avec de nombreuses structures métalliques : mangeoires, abreuvoirs, barrières, trayeuses, robots d’alimentation, lactoduc (tuyaux de circulation du lait), etc. Si ces équipements sont porteurs de tensions parasites, l’inconfort généré par ces dernières est susceptible d’entraîner des conséquences fâcheuses. Chez la vache, cela peut se traduire par un refus de boire ou de manger, un manque de repos, de la nervosité, des ruades, une durée de traite plus longue, une diminution de la qualité du lait, des mammites, et plus encore.
« Ces symptômes sont comparables à ceux générés par des problèmes de santé animale. Avant de soupçonner les tensions parasites, l’éleveur doit donc faire appel aux vétérinaires ou aux spécialistes en nutrition, afin de s’assurer qu’aucune maladie ou carence n’est en cause. Si la solution n’est pas trouvée, le producteur peut faire appel au Réseau Agriconseils Mauricie qui offre des services de dépistage en tensions parasites à travers tout le Québec », rapporte Kodjo Agbossou.
L’équipe de dépistage effectue d’abord un prédiagnostic gratuit pour prendre connaissance des changements survenus à la ferme (nouveaux équipements, appareils désuets, etc.). Un technicien se rend ensuite sur les lieux pour procéder à différentes mesures (tensions, courants), à partir du panneau électrique jusque dans l’environnement des animaux, afin de vérifier s’il y a un problème, et à quel endroit.
« Pour ma part, j’aide le technicien ou je l’oriente dans l’exercice de son travail, afin de trouver des solutions aux cas rencontrés. Le technicien traite une centaine de dossiers par année et je lui offre régulièrement mes conseils. Dans les situations plus difficiles ou complexes, je me rends avec lui dans les fermes pour pousser plus loin l’investigation et faire des recommandations, qui pourront être appliquées par un maître électricien. Je regarde aussi l’ensemble des dossiers et j’en fais une analyse statistique », mentionne le chercheur.
La science au service du milieu agricole
Le professeur Agbossou agit également à titre d’expert pour le MAPAQ à l’intérieur d’un comité multipartite spécialisé en tensions parasites, regroupant des représentants de l’UPA, d’Hydro-Québec, du réseau Agriconseils et du MAPAQ. Trois à quatre fois l’an, ce comité se réunit pour se pencher sur les cas plus complexes de tensions parasites et les problèmes liés à certains équipements.
« Afin de maintenir la qualité des services offerts, j’ai aussi pour mandat d’effectuer une veille des publications scientifiques à travers le monde portant sur les tensions parasites en milieu agricole. Je mène aussi des études sur le sujet et je publie parfois des articles de vulgarisation sur mes résultats. Mon rôle est de fournir une expertise scientifique neutre, dépourvue de parti pris », précise Kodjo Agbossou.
En avril dernier, le MAPAQ a renouvelé jusqu’en 2026 le contrat du chercheur, pour qu’il poursuive son travail d’expertise sur les tensions parasites en milieu agricole.
« J’aime ce mandat parce que c’est très concret, lance le professeur Agbossou. Nous devons identifier un problème et faire des recommandations. Et quelques semaines plus tard, le producteur agricole nous appelle pour nous dire que son cas est résolu, que la production est revenue à la normale et que la qualité du lait est bonne. Nous constatons ainsi les effets directs de nos interventions. Les éleveurs faisant appel à nous sont souvent très stressés par des problèmes de tensions parasites, parce qu’ils nuisent au bien-être de leurs animaux et entraînent une diminution de la marge de profit, déjà faible. Quand nous aidons ces producteurs, ils sont très contents. »
Une expertise qui profite aussi aux étudiants
Au début de son mandat avec le MAPAQ, Kodjo Agbossou connaissait peu la ferme et ses équipements. « Mon domaine de compétence, c’est d’abord l’électricité, ainsi que l’instrumentation incluant la question de la mise à la terre… J’ai donc dû développer une expertise supplémentaire liée aux appareils de la ferme, en lisant et en me documentant. La première année, j’ai beaucoup travaillé pour m’approprier correctement toutes les problématiques de tensions parasites. Et je continue toujours à m’informer, car la veille technologique fait partie de mon travail », souligne-t-il.
Le professeur Agbossou partage également avec ses étudiants les connaissances qu’il a acquises à propos des tensions parasites en milieu agricole. « Quand je donne mes cours au baccalauréat ou à la maîtrise, et que j’aborde le sujet de la mise à la terre, j’en profite pour utiliser des exemples concrets liés à la ferme. Et si nous parlons de robots en classe, je rappelle aussi aux étudiants que ces équipements, bien que performants, doivent toujours être conçus en fonction de l’utilisateur final, afin que ce dernier n’expérimente pas des problèmes comme les tensions parasites », d’ajouter Kodjo Agbossou. Soulignons que ce dernier est également titulaire de la Chaire de recherche Hydro-Québec sur la gestion transactionnelle de la demande résidentielle en puissance et en énergie.