Dans la lutte contre les cancers, comme celui de la vessie, il ne faut pas négliger de prendre en considération les effets secondaires potentiels liés à un traitement chez le patient. C’est dans cette perspective que les études menées par les professeurs Gervais Bérubé et Carlos Reyes-Moreno de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) ont permis la création d’une famille de molécules dont l’effet thérapeutique serait associé à la diminution de l’inflammation intra-tumorale tout en étant le moins toxique possible, c’est-à-dire en agissant préférentiellement sur la tumeur avec peu d’impacts négatifs ailleurs dans l’organisme.
« Nous développons une nouvelle famille de molécules thérapeutiques ayant des activités anti-inflammatoires, anticancéreuses et anti-métastatiques, et dont les propriétés limiteraient l’apparition d’effets secondaires indésirables liés à une réponse inflammatoire au traitement, par exemple les risques d’insuffisance cardiaque ou rénale, ou d’ulcères de la muqueuse gastrique », affirme Carlos Reyes-Moreno qui, avec son collègue Gervais Bérubé, est membre du Groupe de recherche en signalisation cellulaire (GRSC) de l’UQTR. Ces deux chercheurs codirigent une étude portant sur l’inflammation associée au cancer et sur le développement d’une stratégie anti-inflammatoire contre le cancer de la vessie.
Créer une famille de molécules
Cette nouvelle famille de molécules, appelées DABs, ont été conçues dans le laboratoire de Gervais Bérubé, professeur du Département de chimie, biochimie et physique. Ces molécules, aujourd’hui brevetées, sont dérivées de l’acide aminobenzoïque, un produit naturel que l’on retrouve dans plusieurs aliments tels que la levure de bière, le foie, les germes de blé et la mélasse. Il s’agit d’une technologie dont l’intérêt thérapeutique présente un potentiel non seulement pour le cancer de la vessie, mais aussi pour ceux associés à l’inflammation, comme le cancer du sein.
« En ce sens, deux molécules de synthèse très prometteuses, DAB-1 et DAB-2-28, font actuellement l’objet d’études plus approfondies pour comprendre leur mécanisme d’action et améliorer leur potentiel thérapeutique. D’ailleurs, la molécule DAB-1 a démontré son efficacité lors des essais en laboratoire », précise Carlos Reyes-Moreno, professeur du Département de biologie médicale.
Le mécanisme d’action anticancer de DAB-1 implique l’inhibition des voies de signalisation menant à la production de la protéine iNOS (inducible nitric oxide synthase), l’enzyme responsable de produire l’oxyde nitrique (NO), une biomolécule jouant un rôle normal dans la neurotransmission, la fonction vasculaire et la régulation immunitaire, mais également connue pour favoriser la survie et la croissance tumorale. Soulignons que la voie iNOS/NO est considérée comme un déterminant inflammatoire majeur dans l’initiation, la promotion et la progression de plusieurs types de cancers, incluant ceux de la vessie et du sein.
Cette étude a permis aux chercheurs de l’UQTR de s’associer avec Axelys et BioInnove, deux groupes d’experts dans le développement et le transfert de l’innovation, et d’obtenir une importante subvention du Ministère de l’Économie et l’Innovation (MEI) afin d’accélérer la maturation de la technologie des DABs.
« Actuellement, nos recherches se concentrent sur une autre molécule de la famille DABs, soit DAB-2-28. Pour l’instant, nous avons pu démontrer qu’une grande proportion de ces molécules s’accumule dans la tumeur, ce qui signifie qu’elles vont agir de façon plus localisée », avance M. Reyes-Moreno. Il poursuit : « Notre molécule n’agit pas sur l’activité enzymatique, mais sur les voies de signalisation qui sont responsables de produire la protéine iNOS et la sécrétion de NO par les cellules tumorales. C’est la raison qui explique pourquoi l’activité de notre molécule, en plus d’être anti-inflammatoire, est également antitumorale et anti-métastatique. »
Les chercheurs de l’UQTR souhaitent maintenant démontrer la capacité anti-inflammatoire de la molécule DAB-2-28 en combinaison avec des agents chimiothérapeutiques, une nouvelle avenue médicale prometteuse en vue d’augmenter l’efficacité des traitements et réduire les effets secondaires, tels que la fatigue extrême, la perte des cheveux et les nausées. De récentes études tendent d’ailleurs à prouver la pertinence de suivre cette approche.
Une avenue thérapeutique prometteuse
En résumé, le concept de leur technologie est basé sur le potentiel des molécules DABs à cibler l’inflammation associée au cancer, et en particulier à inhiber la voie iNOS/NO, considérée comme un déterminant inflammatoire majeur dans l’initiation, la promotion et la progression de plusieurs types de cancers, incluant ceux de la vessie et du sein. C’est dans ce contexte que leur travail portant sur DAB-1 a été cité dans une étude clinique publiée récemment dans la revue Science Translational Medicine[1], le journal le plus prestigieux dans le domaine de la médecine appliquée, dite translationelle.
Cette étude menée par un groupe des chercheurs de la Houston Methodist Cancer Center[2] portait sur le ciblage thérapeutique de l’inflammation associée au cancer à l’aide d’un inhibiteur de l’enzyme iNOS, le L-NMMA, pour traiter les patientes atteintes d’un cancer du sein triple négatif, considéré, tout comme le cancer de la vessie, comme étant très difficile à traiter.
Le cancer du sein triple négatif est une forme agressive de la maladie qui présente un risque élevé de métastases et de développement de résistance à la chimiothérapie. Les auteurs rapportent que l’usage du L-NMMA, en combinaison avec l’agent chimiothérapeutique docetaxel, a été efficace pour réduire la taille des tumeurs ou ralentir leur propagation chez les patientes atteintes de tumeurs cancéreuses du sein avancées ou métastatiques résistantes à la chimiothérapie. « Il s’agit d’une nouvelle pleine d’espoir pour les patientes atteintes de ces formes avancées de cancer du sein, trop souvent mortelles », dit le professeur Reyes-Moreno.
L’utilisation des DABs dans le traitement de ce type de cancer du sein est un scénario présentement à l’étude par les deux chercheurs de l’UQTR, en collaboration avec les Drs Isabelle Plante et Kessen Patten de l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS) du Québec. « Et ce que nous voulons proposer dans ce cas-là est une nouvelle thérapie avec les molécules DABs combinées avec un hybride hormone-platine original, afin de cibler spécifiquement les cellules tumorales encore sensibles aux hormones et aux drogues chimiothérapeutiques », explique le professeur Bérubé.
« Avec tous les défis que nos équipes de recherche doivent relever, les prochains mois s’annoncent très chargés, mais très prometteurs, sachant que notre stratégie thérapeutique visant l’inflammation associée au microenvironnement tumoral est fondée sur des bases solides et qu’elle aurait toutes les chances de s’appliquer aux différents types de cancers dont le développement est lié à l’inflammation », annoncent les deux chercheurs.
Références
[1] Girouard J. et al., 2020; doi: 10.1016/j.bcp.2019.113778
[2] Chung C.W. et al. 2021, doi: 10.1126/scitranslmed.abj5070