Résoudre des cas d’incendies criminels n’est pas facile. Les indices susceptibles d’être retrouvés sur les lieux sont souvent dégradés, brûlés ou enterrés sous les décombres. De plus, la grande variété d’intervenants impliqués – ambulanciers, pompiers, policiers, enquêteurs, techniciens en scène de crime, ingénieurs et experts en sinistres – peut compliquer le travail d’investigation. Au Canada, seulement 16 % des crimes d’incendie sont résolus, comparativement à 70 % pour les crimes violents contre la personne. Dans le but d’améliorer ce bilan, le professeur en criminalistique Cyril Muehlethaler de l’UQTR a lancé un projet de recherche novateur et pluridisciplinaire sur l’investigation des incendies, faisant appel aux méthodes de renseignement forensique.
« Sur une scène d’incendie, chaque intervenant travaille un peu en silo et n’a souvent accès qu’à une partie de l’information. De plus, les policiers et les pompiers ne sont pas toujours appelés ensemble sur les lieux. Dans la moitié des cas d’incendies, seulement un seul de ces corps d’intervention se rendra sur place. Ce contexte ne favorise pas le partage des renseignements sur les cas d’incendies. Pour remédier à cette situation et, par le fait même, accroître le taux de résolution des incendies criminels ou encore détecter des causes accidentelles répétitives, nous souhaitons mettre en commun toutes les données recueillies par les divers intervenants et les analyser », explique le professeur Muehlethaler.
En rassemblant et en comparant l’ensemble des informations obtenues au fil du temps sur les incendies criminels, le chercheur espère faire ressortir des similarités ou des liens entre différents cas, grâce à l’analyse sérielle. Cette approche, permettant d’étudier une série de cas, est utilisée avec succès dans les enquêtes sur le crime organisé, le profilage de produits stupéfiants ou encore l’analyse des contrefaçons. Toutefois, elle n’est pas appliquée dans le domaine des incendies criminels au Canada, en raison notamment de l’absence d’un point de centralisation des données.
« La mise en commun des renseignements sur les incendies est donc l’un de nos principaux objectifs. Pour notre projet pilote, nous travaillerons avec une grande ville québécoise qui a accepté de collaborer à notre recherche. Nous allons consulter les dossiers d’incendies volontaires des années précédentes de cette municipalité et réunir tous les renseignements disponibles : traces collectées, modus operandi, date, heure, lieu géographique, etc. À partir de la base de connaissances ainsi créée, nous tenterons de voir s’il est possible de détecter des séries, c’est-à-dire des traces ou des modus operandi qui se répètent, ce qui pourrait nous aider dans la résolution de certains incendies », précise le chercheur.
Un projet alliant les sciences naturelles et humaines
Pour mener à bien ses travaux, le professeur Cyril Muehlethaler a obtenu récemment une subvention fédérale (250 000 $) du fonds Nouvelles frontières en recherche – Exploration 2021. Il bénéficie également de la collaboration des professeurs André Lajeunesse et Frank Crispino (Département de chimie, biochimie et physique, UQTR), de la professeure Nadine Deslauriers-Varin (École de travail social et de criminologie, Université Laval) et d’Arnaud Courti, vice-président de l’Association internationale des enquêteurs en incendie – section Québec. Des partenaires de divers secteurs d’intervention (pompiers, policiers, enquêteurs en incendie, etc.) participeront aussi au projet.
« Il y a environ 400 incendies volontaires par an dans la ville que nous étudierons, rapporte le professeur Muehlethaler. Nous comptons évaluer les cas des cinq dernières années pour obtenir et rassembler toutes les informations, les codifier et bâtir une base de données. Pendant quelques mois, nous accompagnerons aussi des enquêteurs sur les scènes d’incendies pour récolter nous-mêmes des données et observer le travail de collaboration des intervenants. Nous réaliserons aussi des entretiens avec certains enquêteurs et des personnes impliquées sur les scènes d’incendies, pour en apprendre davantage sur leurs façons de procéder. Si nous arrivons à démontrer que notre approche systématique permet de lier des cas d’incendies entre eux et d’en résoudre certains, nous aurons pu illustrer les bienfaits de l’analyse sérielle. Nous espérons qu’un tel résultat favorisera une collaboration accrue avec les intervenants liés aux incendies. Nous pourrions aussi leur offrir des formations sur notre approche. »
Bonifier les pratiques d’enquête
Si la démarche proposée par le chercheur fonctionne bien et fait ses preuves, la prochaine étape consistera à développer des outils technologiques qui, à partir de méthodes statistiques et techniques de visualisation, permettraient de faciliter la gestion et la comparaison des données. Ces outils amélioreraient ainsi les capacités de détection des utilisateurs. Ils pourraient également servir à la création d’une cartographie des incendies, susceptible d’orienter les actions de surveillance et de prévention vers les zones les plus touchées.
À partir de la base de données sur les crimes d’incendies, le professeur Muehlethaler espère aussi démontrer quelles traces sont les plus utiles lors d’une enquête. « Chaque trace collectée peut avoir une influence plus ou moins grande dans l’investigation. On parle de la pertinence ou de l’utilité des traces, et c’est ce que nous voulons évaluer. Par exemple, nous chercherons à comprendre si des traces de semelles, des traces digitales ou de l’ADN ont de moins bonnes chances de s’avérer utiles à l’enquête sur les scènes d’incendie, en raison de la dégradation de l’environnement, en comparaison avec d’autres informations recueillies lors d’une investigation. L’idée, c’est que certaines traces, de par leur type ou leur localisation, et en fonction du contexte, méritent probablement d’être priorisées par rapport à d’autres en termes d’allocation de temps et de ressources », illustre-t-il.
Mieux connaître et prévenir les incendies criminels
Avec l’ensemble du projet, le chercheur souhaite offrir une démarche plus proactive que réactive. « Nous voulons réussir à faire ressortir les tendances dans l’ensemble des cas d’incendies criminels et générer des connaissances pluridisciplinaires sur ces derniers, en criminologie et en criminalistique. Quels types de traces sont habituellement trouvées, où sont-elles localisées, avec quel succès sont-elles analysées? Dans quelles zones géographiques et sur quels types de cibles se produisent le plus souvent les incendies? Sur quelle ligne de temps s’étalent des incendies qui ont des similitudes entre eux? Les réponses à ces questions nous permettront d’améliorer l’investigation et la prévention des incendies, et donc la sécurité de la population », espère-t-il.
Actuellement, au Québec, personne n’a le mandat de mettre en commun les différentes données d’investigation des crimes d’incendie. « Grâce à notre projet de recherche, des étudiants de cycles supérieurs pourront se consacrer à cette tâche. Nous espérons que cette initiative sera appréciée des différents intervenants sur les scènes d’incendies et qu’ils y verront une belle occasion de partenariat et d’amélioration des connaissances », d’ajouter le professeur Muehlethaler.