Chaque année sur notre planète, des criminels se livrent à l’exploitation forestière illégale, abattant des espèces d’arbres menacées ou situées dans des zones protégées. Selon l’organisme Interpol, 15 % à 30 % de la production mondiale de bois proviendrait de ces activités illicites, lesquelles causent d’immenses torts environnementaux et socioéconomiques. Lorsque les produits forestiers illégaux arrivent aux frontières, les douaniers tentent de les repérer mais cette tâche s’avère difficile. Pour remédier à cette situation, la professeure Shari Forbes du Département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR mène un projet avant-gardiste : la mise au point d’un nez électronique capable de déceler les produits forestiers prohibés.
« Les méthodes de détection actuelles nécessitent des tests en laboratoire pour vérifier si des produits forestiers sont illégaux, explique la chercheuse. Ce que nous voulons faire, c’est fournir aux agents frontaliers un appareil portable qui peut être utilisé en temps réel pour identifier les espèces de bois indésirables que des contrevenants tentent de faire entrer dans un pays. Tout comme le nez d’un chien, cet outil pourra capter les substances chimiques libérées dans l’atmosphère par les produits forestiers. Il analysera aussi ces composés volatils et produira rapidement une alarme s’il s’agit d’une espèce interdite. »
Partenariat international
Ce projet de recherche novateur trouve sa source en Australie, où Shari Forbes travaillait il y a quelques années. À l’époque, la chimiste œuvrait en collaboration avec une équipe de l’University of Technology Sydney, pour développer un nez électronique capable de détecter des produits animaux illégaux comme l’ivoire des éléphants ou la corne de rhinocéros.
« Nous avons réussi à réaliser des prototypes de nez électroniques pouvant identifier différentes matières provenant d’espèces animales menacées. Mais les autorités nous ont alors informés que les produits forestiers illégaux représentaient un problème encore plus grave. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers la réalisation d’un nez électronique dédié aux produits du bois. Le défi, c’est d’arriver à déceler les composés volatils spécifiques à différentes espèces d’arbres, tout comme nous avons réussi à le faire pour les composés volatils propres à certains produits animaux », précise la professeure Forbes.
Pour créer un nez électronique capable de détecter les produits forestiers ciblés, Shari Forbes poursuivra sa collaboration avec l’University of Technology Sydney. Dans ce travail en partenariat, la chercheuse aura pour tâche de construire une base de données des composés volatils des produits forestiers. Elle identifiera ensuite quels composés sont précisément liés aux espèces d’arbres interdites à la commercialisation. Ces renseignements seront transmis à des ingénieurs de l’université australienne, afin qu’ils mettent au point un appareil portatif pouvant repérer les substances volatiles provenant de produits forestiers illégaux.
Un projet original et audacieux
Les travaux dédiés à la réalisation du nez électronique seront financés par une subvention (243 750 $) obtenue récemment du fonds Nouvelles frontières en recherche – volet Exploration du gouvernement canadien. L’embauche d’un étudiant au doctorat est également prévue, principalement pour l’analyse des composés volatils du bois.
« Il existe présentement d’autres sortes de nez électroniques, utilisés notamment pour détecter des fuites de gaz ou le degré de maturité des raisins destinés à la fabrication du vin. Mais ces appareils n’offrent pas la sensibilité dont nous avons besoin pour notre projet, soit celle du nez d’un chien. Nous serons donc les premiers à développer un nez électronique assez sensible pour détecter les produits forestiers illicites. Cet appareil pourra ensuite être utilisé partout dans le monde », espère Shari Forbes.
Un nouvel outil pour contrer la criminalité forestière
L’équipe de recherche se donne deux ans pour développer son prototype de nez électronique. La base de données des composés volatils sera d’abord créée à partir de l’analyse d’échantillons de produits forestiers illégaux et légaux. Les substances chimiques dégagées par chaque espèce végétale seront répertoriées, pour ensuite déterminer lesquelles devront être priorisées par le nez électronique. Ce dernier sera doté de capteurs pouvant déceler les composés volatils et d’un système de traitement rapide des informations. Grâce à l’intelligence artificielle, le nez électronique sera entraîné à offrir la meilleure réponse possible à son utilisateur. Il sera conçu sous la forme d’un appareil robuste et pouvant tenir dans la main.
« Lorsque notre outil aura été mis au point, nous en validerons l’utilisation sur le terrain en faisant appel à la collaboration de différents organismes, signale la professeure Forbes. Nous prévoyons travailler notamment avec l’Agence des services frontaliers du Canada ou d’autres organisations liées à la lutte contre le commerce de produits forestiers illégaux. Si nos essais sont concluants, nous entamerons alors la phase de commercialisation de l’appareil. »
La chercheuse souligne l’importance de lutter contre l’exploitation forestière illégale. « Outre l’évasion fiscale et le financement du crime organisé, cette pratique entraîne des conséquences graves comme la déforestation, la destruction d’habitats naturels, la perte de biodiversité, le réchauffement climatique, des conflits sociaux, le déplacement d’insectes indésirables pouvant nuire à l’agriculture ainsi que des contacts humains accrus avec les maladies infectieuses de la faune. Il faut donc agir énergiquement contre cette criminalité. Nous voulons y contribuer concrètement grâce à notre nez électronique. Cet appareil sera tout aussi efficace que le nez d’un chien, tout en étant moins coûteux et plus facile d’utilisation qu’un chien renifleur », conclut-elle.
Notons que la professeure Shari Forbes est titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 en thanatologie forensique. Elle dirige également le site de Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales] (REST[ES]) de l’UQTR, consacré à l’étude de la décomposition cadavérique humaine.