Avez-vous déjà eu un fantasme sexuel et vous demander ensuite : ai-je vraiment envie de le réaliser? Dois-je le partager avec mon ou ma partenaire ? Il est tout-à-fait normal que différents fantasmes sexuels nous traversent l’esprit, mais passe-t-on à l’acte ? C’est à cette question que répond la plus récente recherche menée par les professeurs Christian Joyal du Département de psychologie et Julie Carpentier du Département de psychoéducation de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
« Notre plus récente étude examine la concordance et la discordance entre les fantasmes et les comportements correspondants, à savoir si l’intérêt pour une pratique sexuelle est un bon prédicteur du passage à l’acte », affirme Christian Joyal, chercheur à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel avec sa collègue Julie Carpentier. Ensemble, ils ont mené une étude visant à quantifier la concordance relative entre un intérêt paraphilique – c’est-à-dire la curiosité ou l’intérêt pour un comportement en marge de ce qui est considéré comme la sexualité traditionnelle – et le passage à l’acte.
L’étude dont il est question, disponible en lecture ouverte, a permis aux chercheurs de mesurer la concordance entre le fantasme sexuel et les comportements, à savoir : est-ce un bon prédicteur pour le passage à l’acte ? « Nous sommes arrivés à la conclusion que le taux de concordance est d’environ 50 %. Par exemple, le fantasme courant chez la femme de se faire prendre de force ne signifie évidemment pas qu’elle souhaite que ça lui arrive », image le chercheur.
Il précise : « Contrairement à ce qu’en dit le DSM [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux], donc, on ne doit pas confondre un fantasme et un désir sexuel. Si votre fantasme sert à augmenter votre désir tout en voyageant dans le temps ou l’espace, vous pouvez le garder pour vous. Par contre, si votre fantasme est un désir de le réaliser, il peut être bon d’en faire part à votre partenaire. »
Facteurs de prédiction
Le genre est un facteur de prédiction du comportement. Chez les femmes, la concordance entre un fantasme paraphilique et le passage à l’acte est plus faible que chez les hommes, sauf pour la soumission sexuelle. « Cela signifie généralement qu’une femme qui a cet intérêt passera plus souvent du fantasme au comportement, dans près de 90% des cas en fait. En contrepartie, les hommes en général ont plus d’intérêts pour la domination sexuelle, le fétichisme et le voyeurisme, qui ont plus de chance d’être réalisés », précise le professeur Joyal.
Comme le voyeurisme est un comportement illégal, la concordance entre le fantasme et le passage à l’acte reste relativement faible. Ainsi, l’aspect légal/illégal serait un autre des éléments modérateurs. « Lorsqu’une personne a un fantasme pour un comportement illégal, par exemple le voyeurisme, le frotteurisme ou l’exhibitionnisme, la chance qu’elle passe à l’acte est faible parmi la population générale. Quand c’est légal, comme le fétichisme, le sadomasochisme ou le BDSM, c’est l’inverse », ajoute le chercheur de l’UQTR.
Il existe toutefois certaines exceptions où la concordance entre le fantasme et le passage à l’acte est élevée même s’il s’agit de comportements illégaux. On pense aux déviances ou perversions comme la zoophilie, la nécrophilie, la pédophilie, etc. « Par exemple, moins de 5 % des hommes ont des fantasmes pédophiliques, mais ceux qui y pensent souvent et exclusivement ont beaucoup plus de chance de passer à l’acte. De fait, plusieurs facteurs entrent en jeu, tel que l’exclusivité de l’intérêt paraphilique, les distorsions cognitives, les traits de personnalité, l’impulsivité, etc. », soutient-il.
À cet égard, une des applications des recherches pourraient permettre, d’une part, de limiter la stigmatisation reliée à certains fantasmes sexuels et, d’autre part, de prévenir le passage à l’acte criminel sur la base des caractéristiques du fantasme et de l’individu.
« Le fait d’avoir un fantasme donné a une faible valeur de prédiction, contrairement à ce qu’on enseigne encore souvent. Par contre, le fait d’être un homme, d’avoir des fantasmes atypiques, par exemple impliquant des enfants, intenses, récurrents et exclusifs représentent des facteurs de risques significatifs. Il s’agit d’obtenir un tableau d’ensemble », conclut Christian Joyal, qui travaille actuellement à mettre sur pied un site internet et une ligne d’écoute pour la population en vue de prévenir les attouchements et agressions sexuelles envers les enfants.