En matière d’intervention psychosociale, la norme veut que la relation d’aide s’effectue dans l’enceinte d’un milieu institutionnel, privé ou communautaire. Or, certaines approches complémentaires s’écartent de ce cadre traditionnel, en sortant le processus de ses murs. À cet égard, l’intervention psychosociale par la nature et l’aventure (IPNA) propose un environnement expérientiel, dans lequel certaines clientèles sont plus à même de cheminer. Afin de bonifier la formation des intervenants, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a entrepris d’enseigner cette approche.
Importée des États-Unis, l’IPNA est apparue au Québec au tournant des années 1990. L’aventure thérapeutique a d’abord mauvaise presse ; assimilée au fait d’aller jouer dehors, les intervenants qui souhaitent s’en inspirer reçoivent peu d’écoute de leur milieu. Au cours des années 2000, cependant, la recherche va venir changer la donne.
« Beaucoup de travaux ont été réalisés sur des projets d’intervention ou d’éducation qui utilisaient l’IPNA. Ces études ont contribué à asseoir la légitimité de l’approche, puisqu’elles montraient la pertinence des démarches entreprises dans les milieux institutionnels, scolaires et communautaires. Cette crédibilité a généré un intérêt envers l’IPNA comme modalité complémentaire, ce qui a mené à l’émergence de formations universitaires, notamment à l’UQTR », explique Sébastien Rojo, chargé de cours et doctorant en psychoéducation (orientation recherche).
L’offre pédagogique de l’Université vise à consolider les compétences préalables des intervenants, et à leur permettre d’acquérir de nouveaux outils d’intervention. L’IPNA constitue ainsi un levier de changement qu’ils peuvent mobiliser auprès de leurs clientèles. Ce type de médiation peut même accroître le potentiel d’adaptation et d’autodétermination de certains individus ; pour eux, le fait de se retrouver à la fois en relation avec d’autres et avec la nature les aide à aborder leurs enjeux.
Une double posture
Si l’UQTR n’offrait au départ qu’un cours optionnel sur l’IPNA, la réponse positive des étudiants a amené le Département de psychoéducation et travail social à considérer la mise en place d’une formation complète sur l’approche. C’est ainsi que le programme court de deuxième cycle en intervention psychosociale dans un contexte d’aventure, offert au campus de Québec, a vu le jour. Conçu sur une base résolument psychosociale, le cursus a une portée interdisciplinaire, qui cherche à arrimer les concepts de l’IPNA à ceux de la psychoéducation et des sciences de l’éducation.
« L’enseignement se fait en cohérence avec l’approche. Les étudiants vivent carrément un processus expérientiel d’IPNA, en jouant simultanément le rôle de participant et d’intervenant. Ça a quelque chose d’inconfortable, mais en même temps, le fait de jouer avec les frontières permet d’alimenter leurs réflexions », indique Dave DesRosiers, chargé de cours et psychoéducateur.
« Nous faisons plusieurs boucles d’expérimentation avec eux, que nous complexifions au fur et à mesure. Sur le terrain, il y a trois moments forts. Il y a d’abord l’expédition automnale, qui les amène à comprendre l’approche et les opportunités d’intervention offertes par la nature. Ensuite, il y a l’expédition hivernale, qui leur apprend comment structurer les activités pour conscientiser les participants et atteindre certains objectifs avec eux. Enfin, ils doivent réaliser un projet dans leur milieu de travail, avec une clientèle réelle. Ils agissent alors exclusivement comme intervenants, et mettent en pratique tout ce qu’ils ont appris », ajoute-t-il.
À l’instar des interventions psychosociales, la formule pédagogique employée n’est pas directive. Le contexte imprévisible de la nature force les étudiants à reconfigurer leurs actions en fonction des réalités du terrain. Cette méthode tend à développer leur polyvalence, faculté qu’ils peuvent ensuite transposer à l’ensemble de leur pratique professionnelle.
« L’IPNA engendre un vécu qui est réel, alors ce qui est généré par le groupe devient matière à apprentissage. Notre rôle en tant qu’enseignants est de proposer des situations pédagogiques à partir de ce qu’ils nous donnent. Après tout, cette authenticité est à la base de ce qu’ils vont retrouver dans leurs milieux », souligne M. Rojo, qui est aussi directeur général du Centre d’expertise et d’innovation – Ex Situ Expérience, ainsi que chercheur au Laboratoire international sur l’inclusion scolaire et au Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite en contexte de diversité.
« Ça nous ramène aux racines de la psychoéducation. Avec les années, les programmes standardisés se sont détachés de la notion de vécu partagé. L’IPNA nous permet de reconnecter avec ce concept, et de retourner aux sources de la relation d’aide. Ainsi, lorsque j’enseigne, je tiens compte de la réalité des étudiants, de leur profil et de leur pratique », renchérit Manon Bouchard, chargée de cours et psychoéducatrice.
Réciproquement, les chargés de cours souhaitent que leurs groupes aient toujours un œil sur le contexte de l’intervention. Afin de les garder attentifs, il leur arrive d’omettre certains éléments théoriques, ce qui tend à perturber le terrain. La désorganisation devient alors une opportunité d’apprentissage ; en apprivoisant les nouveaux points de repère, les étudiants sont en mesure d’être efficaces dans un environnement de plus en plus complexe.
« Quand tout ça se déploie, le processus est d’une richesse phénoménale. C’était particulièrement frappant dans le projet intégrateur de l’an dernier, qui avait lieu en communauté atikamekw. L’activité avait été soigneusement planifiée par les étudiants ; or, ils ont fait le choix de rester relativement effacés. Sur le terrain, c’est l’agent de sécurité qui a dirigé l’installation des tentes prospecteur, de façon traditionnelle. Ils ont laissé beaucoup de place aux participants, pour qui ce retour au territoire a permis de faire des réalisations vraiment intéressantes. L’efficacité avec laquelle ils ont géré le tout était impressionnante », note M. DesRosiers.
Une approche qui transforme
La formation offerte par l’UQTR s’inspire également de la notion d’innovation sociale. Celle-ci permet d’aborder la façon de structurer les projets d’intervention au sein des organisations.
« Avant toute chose, il faut prendre un pas de recul et s’interroger sur le besoin d’implanter un projet d’IPNA dans une organisation. Si la vision est trop courte, et si l’organisation ne s’approprie pas le projet, il est peu probable que l’initiative devienne pérenne. Par contre, en se collant aux enjeux stratégiques de son milieu pour définir le projet, on augmente habituellement l’adhésion des décideurs et des bailleurs de fonds. Il faut aussi bien comprendre le fonctionnement des institutions, de leur bureaucratie ; cela permet de faire des analyses de besoins et des demandes de subventions, par exemple », évoque Mme Bouchard.
« En assimilant la structure et les programmes, nos étudiants sont appelés à échanger avec les administrateurs de leur organisation. Ils voient alors de quelles façons ils peuvent mobiliser ces derniers. Cette capacité est importante pour les intervenants, parce que ça les amène à redéfinir leur identité professionnelle. Ils deviennent en quelque sorte des acteurs de changement », complète-t-elle.
En sensibilisant leurs collègues et leurs supérieurs au potentiel de l’IPNA, les étudiants ouvrent leur milieu à de nouveaux horizons. Ils leur offrent ainsi un regard différent sur les interventions qui sortent des sentiers battus.
« Ce type d’approches peut rejoindre des clientèles plus désaffiliées, qui passent habituellement entre les mèches du système. On parle d’innovation sociale parce qu’on vient s’appuyer sur leur réalité ; l’intervenant n’est pas au centre du processus, il est là pour le faciliter. En restant en périphérie, il aide l’individu ou le groupe à se développer et à cheminer lui-même », précise M. Rojo.
En plus de teinter les pratiques d’intervention, le côté novateur de l’approche est en phase avec d’autres grands mouvements de transformation collective.
« Plus largement, on pourrait dire que la formation offerte à l’UQTR s’inscrit dans l’innovation sociale par son lien avec la transition socioécologique. L’Université fait beaucoup de recherche sur les technologies vertes et les créneaux industriels. En enseignant l’IPNA, elle participe aussi au volet plus social de cette transition. Cet aspect constitue certainement une valeur ajoutée pour l’établissement », conclut M. Rojo.