La cloche sonne, marquant le début d’une nouvelle journée. En franchissant la porte, l’odeur singulière des crayons de bois envahit l’espace. Le vacarme des chaises joue en sourdine, étouffé par la texture coussinée des balles de tennis. On se sent un peu entassé ; le coude du voisin est trop près, et que dire du bureau de travail. Un camarade anonyme y a laissé ses petits dessins, détournant l’attention des gommes déjà mâchées qui en tapissent le revers.
Bien qu’il s’agisse de clichés, chacun aura reconnu la description d’une salle de classe. En complétant le portrait, il y a fort à parier que la plupart auront disposé les pupitres en rangées, et placé l’enseignante à l’avant. Il s’agit après tout du modèle habituel. Pourtant, certaines salles de cours proposent des aménagements différents. Les classes à aménagement flexible, notamment, permettent de faciliter l’adaptation en agissant sur l’environnement. Si ces dernières se font rares après le passage aux études supérieures, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a décidé d’en implanter une à son campus de Québec, afin de bonifier son offre pédagogique.
Située au local 226, la classe flexible est dotée d’un mobilier facile à réarranger. Cette particularité donne lieu à des situations d’apprentissage variées, qui favorisent les interactions. Son caractère adaptatif constitue également un atout en matière d’accompagnement. Rendue possible grâce au Fonds d’innovation pédagogique, sa création est toutefois le fruit d’une démarche longuement mûrie.
« Initialement, l’idée provient d’un groupe à qui j’ai enseigné à la maîtrise. Les étudiants et les étudiantes passaient leur temps à modifier l’aménagement. C’était stimulant de les voir s’approprier l’espace ! Or, chaque fois, ça voulait dire tasser les bureaux, s’asseoir par terre, ou encore aller chercher les bean bags au café étudiant. Après un certain temps, j’en suis venue à la conclusion qu’une véritable classe flexible enrichirait la formation de manière importante », se souvient Christine Lavoie, chargée de cours au Département de psychoéducation et travail social.
Encore à son stade embryonnaire, cette idée évolue alors dans un cadre restreint. Mme Lavoie s’attend à devoir démarrer le projet pendant son temps libre, et avec ses propres moyens. Elle songe même à interpeller ses groupes dans l’espoir de récupérer du vieux mobilier. Un élément majeur vient cependant changer la donne : la relocalisation du campus de Québec.
« Quand j’ai présenté l’idée au comité de programme, on m’a proposé de profiter du déménagement pour développer un projet plus structuré. Le but était d’intégrer la classe flexible aux plans de la nouvelle infrastructure puisque, de toute façon, tous les locaux allaient être neufs. Et comme il fallait aussi les meubler, c’était tout à fait envisageable d’acquérir différents types d’assises et de tables de travail. Tout à coup, mon projet bric-à-brac devenait extraordinaire ! », s’enthousiasme-t-elle.
Afin de proposer un design fédérateur, la chargée de cours organise une session de travail avec différents représentants du campus de Québec. Elle leur demande alors d’imaginer leur classe de rêve. Si certaines idées s’avèrent inapplicables, plusieurs autres ont suffisamment de potentiel pour être incluses au projet.
Puiser dans la théorie
Pour appuyer ses démarches, Mme Lavoie entreprend également de recenser les modèles existant ailleurs. Elle réalise rapidement que les classes flexibles sont surtout l’apanage des milieux primaires et secondaires. Les milieux collégiaux et universitaires favorisent pour leur part des classes à apprentissage collaboratif ou actif. Or, cette définition se révèle être parfois… assez large.
« Dans les systèmes d’éducation canadien et américain, dès qu’il y a des roulettes sous le mobilier, on considère que c’est de l’enseignement innovant ! Sauf que ce type d’aménagement n’entraîne pas toujours une réflexion entourant la pédagogie », remarque-t-elle.
« J’ai passé en revue beaucoup d’initiatives, mais du côté de l’enseignement universitaire, seuls quelques projets de classes collaboratives avaient du potentiel. Je pense entre autres à la USC Iovine and Young Academy, un département de design et d’administration financé par Dr. Dre. Les aménagements physiques y étaient trippants, en plein dans la direction où je voulais aller ! Sinon, plus près de nous, le Collège Laflèche offrait aussi de bons exemples de classes collaboratives », ajoute la chargée de cours.
Outre les milieux scolaires, Mme Lavoie s’intéresse aussi à ce qui se fait dans les entreprises technologiques. Le mobilier ludique présent dans les bureaux des Ubisoft et Google de ce monde constitue en effet une source d’inspiration complémentaire. Pour compléter ses recherches, elle se tourne également vers des théories qu’elle connaît.
« À l’époque où j’ai fait ma maîtrise, je travaillais avec Caroline Couture sur les classes Kangourou. Celles-ci s’inspirent beaucoup de la philosophie Nurture, soit de créer un environnement scolaire qui ressemble un peu à celui de la maison. L’idée d’avoir un coin salon, et surtout un îlot de cuisine, vient de là. Je voulais avoir un lieu de rassemblement, autour duquel on pouvait avoir des discussions en petit groupe. Il y a vraiment plein de possibilités sur le plan de l’aménagement, en fonction des activités d’apprentissage », indique-t-elle.
La chargée de cours souligne également que l’approche se veut d’abord et avant tout centrée sur les étudiants et les étudiantes. En répondant mieux à leurs besoins, la classe flexible agit ainsi sur leur motivation, leur engagement et leur persévérance. Ceux-ci semblent d’ailleurs apprécier son caractère chaleureux, qui favorise les interactions informelles avec le personnel enseignant.
Déstabilisante
Même si elle présente tous ces avantages, la classe flexible demande quand même une période d’appropriation. La population étudiante qui la fréquente doit en effet refaire ses repères, elle qui a perdu l’habitude des milieux d’enseignement conviviaux.
« Quand on est aux études, il faut prendre le temps de se demander ce dont on a besoin. Souvent, on se choisit une place quelque part dans les rangées de bureaux ou l’auditorium, et on la garde jusqu’à la fin de la session. On ne la remet jamais en question, comme si c’était un gage de sécurité ! Pourtant, en fonction de notre humeur, un autre endroit pourrait mieux nous convenir. La classe flexible permet de reprendre du pouvoir sur cet aspect. J’incite mes groupes à réfléchir à leurs besoins et à se mouvoir, même pendant le déroulement des cours. C’est comme ça que le confort s’installe, et que l’aménagement flexible vient vraiment soutenir la réussite éducative », note Mme Lavoie.
De son côté, le personnel enseignant doit aussi apprivoiser ce nouvel espace. Il doit en effet revoir ses pratiques pédagogiques, puisque l’enseignement conventionnel exploite peu les nombreuses possibilités de la classe flexible. La chargée de cours croit donc que ses collègues doivent expérimenter ses équipements distinctifs, afin d’apprendre à mieux les utiliser.
« La classe a quelque chose d’intimidant, notamment à cause de la technologie. Il y a des écrans tout autour ; mais en découvrant comment je pouvais m’en servir, j’ai fini par adorer ça ! Je n’ai plus besoin de me tourner la tête vers mon tableau, je le vois peu importe l’endroit où je me situe », évoque Mme Lavoie.
« Cela amène aussi de nouvelles façons de faire des travaux d’équipe. Par exemple, je peux demander à mes étudiants et mes étudiantes de faire l’historique de la profession par décennie. Ensuite, on peut se promener d’un tableau à l’autre comme dans une galerie d’art, et écouter chacune des équipes », complète-t-elle.
Incidemment, la créativité inhérente à la classe permet de diversifier les activités pédagogiques qui s’y déroulent. Le cours d’intervention de groupe, où l’on apprend à utiliser l’espace en contexte thérapeutique, donne ainsi lieu à des situations plus variées, pouvant survenir en parallèle. Elle est aussi propice à la formule « club de lecture », offrant un cadre confortable pour discuter des ouvrages traitant d’intervention. Ces possibilités viennent cependant avec des frontières plus floues.
« Un élément qui est déstabilisant pour la personne qui enseigne, c’est qu’il n’y a pas de station réservée aux professeurs. De cette manière, la classe n’est pas directionnelle. Et comme il n’y a pas de zones attitrées, les occupants de la classe cohabitent partout ! », précise la chargée de cours.
Se sentir bien
Indirectement, la classe flexible agit aussi sur le bien-être de la communauté étudiante qui la fréquente. Sujette aux arrivées hâtives, elle est reconnue pour être un véritable point de rassemblement. En ce sens, Mme Lavoie tient à créer une atmosphère accueillante pour ses étudiants et ses étudiantes. Quand elle arrive le matin, elle met de la musique, diffuse des huiles essentielles et laisse des bonbons sur les étagères pour ceux qui en voudraient.
« Le caractère authentique des échanges qui se déroulent en classe me permet de prendre le pouls du groupe. Je vois rapidement si quelqu’un va moins bien, ce qui me permet d’intervenir au bon moment. La proximité permet aux étudiants et aux étudiantes d’être à l’aise, même lorsqu’ils ont besoin d’assistance. Le monde universitaire a parfois la réputation d’être intimidant, froid et impersonnel… mais ici, l’environnement vient plutôt faciliter la création de liens. On veut qu’ils ressentent la chaleur des contacts, dans ce qui doit ultimement être LEUR classe », insiste-t-elle.
Un monde de possibilités
Bien plus qu’une salle de cours, la classe flexible est le théâtre d’autres types d’activités. Qu’elle accueille les apprenants de l’Université du troisième âge, les tournages des Aventures du pharmachien ou encore des sommets académiques, chacun reconnaît son côté novateur et son esthétique. Ses multiples vocations laissent d’ailleurs croire qu’elle pourrait continuer d’évoluer.
« Mon souhait pour le futur, c’est que la classe flexible puisse changer pour s’adapter aux nouvelles cohortes. Pour qu’elle demeure pertinente, elle devra tenir compte des nouvelles pratiques, et miser sur un mobilier adapté à la pédagogie de l’avenir. C’est ce qui lui permettra de conserver son attrait et son caractère distinctif », conclut Mme Lavoie.
À lire aussi : L’UQTR investit dans les nouvelles technologies pédagogiques