Que se passe-t-il lorsque notre système immunitaire se retourne contre nous ? L’histoire récente nous offre ces exemples de patients présentant une forme sévère de la COVID-19 dont certains organes comme les poumons, le foie, les reins ou le cœur ont été endommagés, résultat d’une propagation des caillots sanguins et de microthromboses.
« Dans une réponse qu’on veut bénéfique face à une infection, on verrait le système immunitaire et le système sanguin travailler ensemble pour capter le virus et détruire les cellules infectées. Dans le cas des patients qui souffrent de la forme sévère d’une maladie et qui potentiellement en décèdent, on remarque que l’équilibre est rompu entre ces deux systèmes. On parle donc de la thrombo-inflammation, un phénomène qui associe la coagulation et l’inflammation », affirme la professeure Geneviève Pépin du Département de biologie médicale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
On avait autrefois tendance à étudier séparément le système immunitaire et le système de coagulation sanguine, alors que les récents développements scientifiques démontrent bel et bien une interaction entre ceux-ci, notamment lors d’une infection sévère. « On observe une augmentation simultanée des thromboses et de l’inflammation dans plusieurs pathologies, telles que les maladies cardiovasculaires ainsi que les infections sévères bactériennes et virales, comme dans le cas du virus de la grippe ou de la COVID-19 », explique la chercheuse de l’UQTR.
Lorsque notre système immunitaire se met en marche pour combattre une infection, c’est tout un processus de communication cellulaire et de défense qui se met en branle. La lutte contre une infection active la production de cytokines, des protéines dont le rôle est d’assurer la communication entre les cellules du système immunitaire et, par conséquent, de participer à l’activation de celui-ci. Le lancement du signal d’alerte engendre donc l’expression de cytokines, ces petits agents de communication qui vont diffuser le message et activer les cellules immunitaires en vue d’éliminer les agents infectieux.
Parfois, la réponse immunitaire est démesurée ; c’est ce qu’on appelle la « tempête de cytokines ». Celle-ci se déclenche lorsque le système immunitaire produit trop de cytokines en réponse à un agent pathogène (p. ex., virus de la COVID-19, influenza) ou à un traitement immunomodulateur (p. ex., chimiothérapie). Bien que les cytokines régulent la réponse immunitaire, leur production en excès peut provoquer une inflammation excessive. C’est justement une des raisons pour laquelle certains patients atteints d’une forme grave de la COVID-19 ou de l’influenza développent des microthromboses pulmonaires, des caillots sanguins et, éventuellement, des dommages à certains organes vitaux.
Mais quel est le lien entre la réponse immunitaire et le système sanguin, et pourquoi la première a-t-elle un impact sur le second ?
Lien entre coagulation et inflammation
La chercheuse de l’UQTR et son équipe ont récemment découvert que les plaquettes sanguines, des cellules anucléées qui participent à la coagulation, possèdent une protéine qui favorise spécifiquement un surplus d’activité des cytokines messagères. Cette protéine, nommée STING, est un élément clé de la défense de l’organisme contre les infections, car elle détecte la présence d’ADN étranger et active la production de cytokines, contribuant ainsi à la réponse immunitaire.
De plus, l’activation de la protéine STING dans les plaquettes sanguines favorise leur agrégation, c’est-à-dire leur capacité à s’assembler pour former des bouchons qui arrêtent le saignement. « Nous avons découvert que STING induit l’agrégation des plaquettes sanguines, le processus à la base de la coagulation ; par contre, cela pourrait aussi générer la formation de caillots sanguins. On comprend alors davantage qu’un surplus de cytokines, cette fameuse tempête de cytokines, a un effet direct sur nos plaquettes sanguines, donc sur les fonctions de coagulation. C’est dans ce cas qu’on retrouve des microthromboses disséminées dans les vaisseaux sanguins, et particulièrement au niveau des poumons dans le cas de virus respiratoires », précise la professeure Pépin.
Elle poursuit : « Plus spécifiquement, les cellules infectées produisent une molécule nommée cGAMP, un médiateur intracellulaire qui est responsable de l’activation de STING. Par contre, si la production de cGAMP devient trop importante en même temps qu’il y a de l’inflammation, cette petite molécule va aussi aller activer STING et, de ce fait, générer un surplus d’agrégation des plaquettes. » Se rompt alors l’équilibre entre la coagulation bénéfique pour combattre l’infection et l’agrégation plaquettaire qui augmente le risque de microthromboses.
Combattre l’infection et empêcher la formation de caillots
L’équipe de Geneviève Pépin souhaite démontrer dans quel contexte ce phénomène survient pour faciliter la tâche au développement de cibles thérapeutiques. Déjà, la chercheuse a pu confirmer in vitro que l’activation de STING dans les plaquettes mène à leur agrégation et, donc, pourrait être responsable de dommages aux poumons. Elle souhaite maintenant valider cette découverte dans un modèle in vivo d’infection à la grippe et présentant une inflammation pulmonaire.
« Si l’on démontre in vivo que STING est impliqué dans la coagulation sanguine au niveau des poumons, on pourrait alors utiliser une molécule qui viendrait en bloquer l’activation dans les plaquettes et, ainsi, empêcher l’agrégation plaquettaire et les caillots sanguins, donc éviter l’apparition de la thrombose pulmonaire. De fait, il faut faire attention de ne pas bloquer STING dans l’ensemble des cellules, puisqu’on diminuerait la capacité de notre système à combattre une infection. Le but est donc de cibler strictement les plaquettes sanguines et non l’ensemble du système immunitaire, pour éviter justement d’immunosupprimer les patients », soutient Geneviève Pépin, également titulaire de la Chaire de recherche UQTR sur les mécanismes cellulaires de l’inflammation non infectieuse.