Érosion, tempêtes, inondations, grandes marées… Depuis plusieurs années, ces mots font régulièrement surface dans l’actualité provinciale. Et pour cause, près de la moitié du littoral du Québec maritime est à risque de submersion ou d’érosion côtière. Et les tempêtes des dernières années n’ont fait qu’exacerber le problème.
Si plusieurs solutions d’aménagements existent pour diminuer les risques liés aux aléas côtiers, les communautés locales ne leur font pas toujours bon accueil. Depuis 2022, le laboratoire de la professeure Julie Ruiz, du Centre de recherche RIVE à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), s’intéresse à cette problématique. Grâce à un programme de recherche soutenu par le ministère de la Sécurité publique, son équipe se penche sur l’acceptabilité sociale des projets de recharge de plage au Québec.
Autrement dit, pourquoi certains de ces projets s’implantent-ils mieux que d’autres dans leur milieu ? Comment améliorer les procédures pour les projets futurs ? Pour répondre à ces questions, l’équipe se base sur six projets de recharge de plage au Québec. Certains sont déjà achevés, comme celui de Pointe-aux-Outardes sur la Côte-Nord ou du site historique de La Grave aux Îles-de-la-Madeleine. D’autres sont en cours, comme à Port-Cartier.
Chercher des points communs
Dans la littérature existante sur le sujet, l’équipe a identifié plusieurs dimensions susceptibles d’influencer l’implantation d’un tel projet. D’abord, le contexte sociopolitique local pèse dans la balance. « Le rôle de la plage a une influence, car certains lui voient une utilité environnementale, économique ou encore esthétique », explique Manuel Deshaies-Champoux, étudiant à la maîtrise en science de l’environnement, qui travaille sur le sujet avec la professeure Ruiz.
Une recharge de plage consiste à alimenter, de façon artificielle, une plage avec du sable ou du gravier afin de compenser son déficit sédimentaire. L’aménagement débouche sur un élargissement de la plage, mais aussi sur une élévation topographique – « ce qui peut en rebuter plusieurs », commente l’étudiant.
De plus, la manière dont les citoyens sont consultés pour un projet influence aussi son déroulement, la transparence de la municipalité favorisant généralement le succès des démarches. Enfin, le rôle des institutions impliquées et l’acceptabilité sociale s’ajoutent à la liste des ingrédients.
Comprendre le contexte local
Malgré les dimensions communes identifiées, chaque cas possède aussi des particularités. Pour cette raison, Manuel, ainsi que d’autres membres du laboratoire, a mené des entrevues approfondies dans les municipalités sélectionnées. La trajectoire d’une communauté est tissée par son histoire, ses relations avec la nature et le milieu, ses apprentissages. Les entrevues permettent de mettre en lumière ce contexte, qui est propre au milieu local.
De plus, l’acceptabilité sociale, comme la communauté elle-même, évolue avec le temps. « Aux Îles-de-la-Madeleine, la recharge de plage était terminée quand la tempête Fiona a frappé en septembre 2022. Le site historique a quand même été submergé. Certains se sont rendu compte que la recharge n’était pas infaillible ; d’autres ont réalisé que ça aurait été pire sans ça », illustre Manuel.
Un aménagement qui fait débat
Une recharge de plage favorise la dissipation de l’énergie des vagues. Si certains la considèrent comme un aménagement qui travaille avec la nature plutôt que contre elle, celui-ci ne fait pas l’unanimité pour autant. La méthode est relativement récente au Québec, même si elle existe depuis plusieurs dizaines d’années dans d’autres pays – dès 1923 aux États-Unis. « Les gens sont méfiants, car ce n’est pas connu ici », mentionne le candidat à la maîtrise.
Constater les crevasses laissées dans la recharge au lendemain d’une tempête ne facilite pas les choses non plus, soutient encore Manuel, même si le processus est naturel dans l’évolution d’un tel aménagement. Ce dernier est d’ailleurs promu comme ayant une durée de vie de 30 ans. Mais comme il n’existe pas de projet aussi vieux au Québec, certains experts émettent des doutes. D’autres encore questionnent les impacts sur la faune et la flore locales.
Vers de meilleures pratiques
L’étudiant insiste bien sur ce point. L’étude en cours ne vise pas à faire la promotion d’un type d’aménagement côtier en particulier, mais bien à documenter les processus de mise en œuvre sur le plan communautaire. Dans un deuxième temps, le projet servira aussi à développer des outils pour accompagner les acteurs du milieu dans l’implantation de leurs projets futurs, par exemple en développant un guide de bonnes pratiques.
« Quand je parle aux citoyens, beaucoup reconnaissent qu’il n’y a pas de solution magique. Ils savent que c’est ça ou rien, étant donné que les municipalités touchées n’ont pas forcément les moyens de se payer des projets à plusieurs millions de dollars. Ils trouvent donc que c’est plutôt positif », conclut l’étudiant.