Des phrases comme « Tu as du poids à perdre! Tu me fais honte! Tu ne vaux rien! » sont des exemples de remarques négatives et envahissantes que s’infligent elles-mêmes les personnes aux prises avec des attitudes et comportements alimentaires dysfonctionnels (ACAD), pouvant aller jusqu’aux troubles des conduites alimentaires. C’est pourquoi le groupe de recherche Loricorps de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), profite de la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires pour rappeler la nécessité de comprendre, évaluer et intervenir en éducation à la santé et en santé.
Cette année, du 1er au 7 février, la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires a défini comme slogan « Personne ne devrait se parler ainsi. Si vous souffrez de troubles alimentaires, nous sommes là pour vous ». Ce slogan permet d’illustrer les « voix intérieures » de la maladie qui peuvent précipiter la personne dans le développement d’ACAD, voire favoriser le maintien des symptômes. Rappelons que, selon une étude américaine, une personne décède toutes les 52 minutes de complications relatives aux troubles alimentaires.
« L’idée que se font les gens concernant les troubles des conduites alimentaires est souvent stéréotypée. On s’imagine trop souvent que ces troubles concernent presque exclusivement des mannequins femmes amaigries exposées dans les magazines ou des personnes en surpoids qui fréquentent les restaurants de fast food. Pourtant, ces troubles sont la résultante de la vulnérabilité de santé mentale et de santé physique. Personne n’est à l’abri, à un moment de sa vie, d’entendre ces « voix intérieures » qui portent un jugement méprisant, notamment sur son apparence physique. Le contexte pandémique et le confinement dans lequel la société est plongée depuis près de deux ans ont d’ailleurs participé grandement au développement d’attitudes et de comportements alimentaires dysfonctionnels comme les rages ou les restrictions alimentaires », souligne la professeure Johana Monthuy-Blanc, responsable du groupe de recherche Loricorps.
Jeux olympiques et ACAD
Les voix intérieures dysfonctionnelles, dont fait référence la Semaine nationale de sensibilisation des troubles alimentaires, peuvent se faire entendre chez les plus grands sportifs, comme les athlètes olympiques. Si ces derniers dégagent généralement une impression de parfaite condition physique, le groupe de recherche Loricorps soulève depuis longtemps les dangers du surentraînement et des programmes alimentaires contraignants auxquels ces sportifs sont exposés. La présentation des Jeux olympiques d’hiver à Beijing, du 4 au 20 février, devient donc une excellente occasion de se sensibiliser à cette réalité qui sous-tend des facteurs de risque de développer des ACAD pouvant aller jusqu’aux troubles des conduites alimentaires.
« Les sportifs et les athlètes de haut niveau doivent garder un certain équilibre de vie et définir leur propre identité occupationnelle à travers les exigences liées à leur discipline. Tout ne doit pas obsessivement tourner autour des performances. Il faut aussi prendre plaisir à exercer ces activités. L’alimentation et l’exercice physique représentent des occupations dont l’équilibre est fragilisé, ce qui conduit parfois à des attitudes et comportements dysfonctionnels », explique Marie-Josée St-Pierre, membre du Loricorps et experte en occupation intuitive.
« Pratiquer une activité physique de haut niveau nécessite de dompter son corps, de lui faire violence pour qu’il devienne un corps-objet. Ce corps objectivé, réifié est très souvent réduit uniquement à des proportions musculaires, à un rapport poids-puissance ou encore à un nombre de calories à consommer. Le sportif de haut niveau est donc en combat avec son corps. Véhicule de la performance sportive, le corps est l’objet d’une attention constante. Dans ce contexte, l’alimentation est réduite à un simple carburant pour pouvoir s’entraîner, performer et récupérer. La notion de plaisir, d’écoute de ses besoins est souvent absente, ce qui peut mener à des troubles des conduites alimentaires. Cependant, des poches de résistance émergent comme on l’a vu, dans le cyclisme où la présence d’Hannah Grant sur le tour de France a permis de repenser l’alimentation dans un contexte de performance en y mettant au centre le plaisir, le goût et la cuisine locale », souligne l’expert dans le champ de l’addiction sportive Nicolas Moreau, membre du Loricorps et professeur à l’Université d’Ottawa.
Emie Therrien, membre du Loricorps et experte en alimentation intuitive, est du même avis que son collègue. « Tant chez les étudiants-athlètes du secondaire que chez les olympiens ou les sportifs professionnels, il est important que l’alimentation demeure flexible et satisfaisante. Même en contexte de performance, il faut maintenir une vision holistique de l’alimentation pour prévenir ou freiner la progression des attitudes et comportements alimentaires dysfonctionnels. »
Recherche, formation et intervention
Rappelons que le mandat du groupe de recherche Loricorps de l’UQTR est de développer la eEducation à la santé et la eSanté des ACAD tant au niveau régional, national qu’international. Ce groupe allie recherche novatrice et intervention en milieu de pratique par le concept de la recherche intégrée selon une approche transdisciplinaire et intersectorielle qui intègre l’expertise diversifiée de ses chercheurs provenant de plusieurs secteurs, dont entre autres, les sciences de l’éducation, les mathématiques, l’informatique, l’ergothérapie, les sciences infirmières, la chiropratique, la psychoéducation, la nutrition, la physiothérapie, la psychologie, la sociologie et les sciences de l’activité physique. D’ailleurs, afin de réaliser leurs missions et considérant la nature de leurs activités, le Loricorps et le Pôle sports HEC Montréal ont officialisé leur volonté de travailler en collaboration sur des projets visant à la promotion d’un environnement sportif sain et sécuritaire pour les jeunes athlètes.
Une semaine de sensibilisation essentielle
Lancée en 2014 par l’organisme ANEB et la Maison l’Éclaircie de Québec, la Semaine nationale de sensibilisation aux troubles alimentaires a lieu chaque année, du 1er au 7 février. Elle a pour objectif de sensibiliser la population à la maladie ainsi qu’à ses enjeux. De nombreux partenaires du milieu communautaire, privé, hospitalier, scientifique et universitaire s’y associent tous les ans.