Selon les statistiques du gouvernement canadien, environ 11 % des hommes et 16 % des femmes souffriront d’une dépression majeure au cours de leur vie. Parmi les traitements de cette grave maladie figure l’électroconvulsivothérapie, qui consiste à administrer une charge électrique sur le cuir chevelu du patient, afin de déclencher une crise d’épilepsie. Cette méthode est probablement la plus efficace pour la prise en charge de la dépression majeure. Toutefois, il demeure difficile d’évaluer la quantité optimale d’électricité à utiliser lors de cette procédure. Pour remédier à ce problème, Cyrus Kalantarpour, étudiant à la maîtrise en mathématiques et informatique appliquées à l’UQTR, mène des travaux de recherche liés à l’intelligence artificielle.
« Lorsque tous les traitements médicamenteux ont échoué pour soigner une dépression majeure, l’électroconvulsivothérapie demeure l’ultime option. La charge électrique utilisée est appliquée alors que le patient est sous anesthésie générale, grâce à des électrodes placées sur sa tête. D’autres électrodes permettent ensuite de mesurer l’activité cérébrale pour vérifier le succès de l’intervention. Cependant, il s’agit d’un procédé délicat qui peut générer des pertes de mémoire, parfois permanentes. Il est donc très important de bien déterminer quelle charge électrique doit être administrée à un patient, pour obtenir les meilleurs résultats avec le moins possible d’effets secondaires », explique Cyrus Kalantarpour.
Une solution plus efficace, moins invasive
La quantité d’électricité à utiliser pour soigner la dépression majeure varie d’un patient à l’autre. Mais actuellement, il n’existe pas de méthode standard permettant à un professionnel de la santé de savoir à l’avance quelle charge électrique devra être utilisée pour une personne en particulier. Le choix d’un traitement individualisé, minimisant les effets secondaires cognitifs indésirables, demeure tributaire d’une démarche par essais-erreurs.
« L’une des méthodes présentement utilisées par les psychiatres est la titration, rapporte Cyrus Kalantarpour. Elle consiste à commencer le traitement par une faible charge électrique, pour déterminer le seuil convulsif du patient. La charge est ensuite augmentée graduellement pour en arriver au meilleur effet thérapeutique possible. Ce protocole peut être répété plusieurs fois, avec des risques de traitement inefficace. »
Dans le meilleur des cas, la titration permet de déterminer la juste charge électrique avec une précision de 70 % à 75 %, ce qui laisse le quart des patients avec un traitement inadéquat. « Grâce à l’intelligence artificielle, je suis arrivé à développer une méthode permettant de prédire, avec un taux de succès de 93 %, la quantité et la durée de charge électrique appropriées pour un patient en particulier. Et cette prédiction s’effectue avant même que le patient ait reçu un premier électrochoc. De plus, notre nouvelle méthode est plus rapide, moins chère et plus concise que les autres procédures actuellement utilisées », signale Cyrus Kalantarpour.
Un système intelligent, testé avec des cas réels
Pour en arriver à cet excellent résultat, l’étudiant-chercheur a utilisé un réseau artificiel de neurones et des algorithmes d’apprentissage profond causal. À partir des caractéristiques de l’activité électrique cérébrale normale du patient (soit celle observée sous anesthésie, avant l’application de la charge électrique), ainsi que l’âge et le sexe de la personne et le type de médicament utilisé pour l’anesthésie, ce système d’intelligence artificielle réussit à proposer le meilleur traitement possible dans la majorité des cas.
« Nous avons dû entraîner notre réseau neuronal pour qu’il devienne efficace, précise Cyrus Kalantarpour. Nous l’avons nourri de nombreuses données, recueillies auprès de patients réels lors de séances d’électroconvulsivothérapie, afin qu’il apprenne à faire de bonnes prédictions. Ces données nous ont été fournies, sous forme anonymisée, par le docteur François-Xavier Roucaut, psychiatre au Centre hospitalier affilié universitaire régional de Trois-Rivières, qui est l’investigateur principal pour notre projet de recherche. »
En compilant et en analysant ces données réelles, le système d’intelligence artificielle a pu apprendre quelles conditions favorisaient l’obtention des meilleurs résultats cliniques lors de séances d’électrochocs. Une partie des données, non utilisées lors de cette phase d’apprentissage, a ensuite été utilisée pour tester le pouvoir prédictif du système, qui a relevé le défi avec succès.
Rendre l’outil disponible et poursuivre les recherches
L’efficacité de la nouvelle méthode développée par Cyrus Kalantarpour ayant été prouvée d’un point de vue théorique, il reste maintenant à obtenir l’adhésion des psychiatres et de leurs patients pour des essais cliniques en contexte réel. « Nous aimerions aussi améliorer notre système en lui fournissant plus de précisions sur l’activité cérébrale des patients. Pour ce faire, nous aurions besoin d’un équipement de mesure comportant 19 électrodes, plutôt que 2 ou 4 comme c’est le cas actuellement », mentionne le chercheur.
Déjà, l’étudiant travaille à la création d’une interface graphique et d’une application Web qui permettront à un usager d’interroger le système d’intelligence artificielle dédié au traitement de la dépression majeure. En fournissant à l’outil différents renseignements sur un patient, il sera possible d’obtenir une réponse quant au meilleur traitement d’électrochocs à utiliser. « La première version sera gratuite mais ultimement, nous aimerions pouvoir commercialiser l’outil Web, en faire un projet d’affaires », espère Cyrus Kalantarpour, qui est originaire d’Iran.
L’étudiant réalise ses travaux sous la direction du professeur Usef Faghihi du Département de mathématiques et d’informatique de l’UQTR, en collaboration avec le docteur François-Xavier Roucaut. « Avant même mon arrivée à l’UQTR, en 2020, le professeur Faghihi a démontré un intérêt pour mes connaissances en mathématiques et en intelligence artificielle et mon expérience pratique dans une clinique de neurothérapie. C’est ainsi qu’il a pu me proposer cet intéressant projet de maîtrise, pour aider les personnes souffrant de dépression majeure. Je tiens d’ailleurs à mentionner que le professeur Faghihi m’apporte un immense soutien dans mes activités de recherche et qu’il est d’une grande gentillesse », souligne Cyrus Kalantarpour, qui souhaite poursuivre ses études au doctorat après l’obtention de son diplôme de maîtrise.
Le jeune chercheur se dit également reconnaissant envers ses proches pour leur appui à la réalisation de ses travaux : « J’aimerais exprimer ma sincère gratitude envers ma bien-aimée épouse, Haniyeh Ghorchian, pour son soutien inébranlable et ses précieuses suggestions techniques tout au long de la phase de prétraitement des données. Je voudrais également exprimer mes remerciements sincères à ma famille, dont l’encouragement et le soutien sans faille ont joué un rôle essentiel dans l’achèvement réussi de ce projet. »
Mentionnons que les travaux de Cyrus Kalantarpour sur l’amélioration du traitement de la dépression majeure sont financés par la Fondation Santé Trois-Rivières et le programme Mitacs Accélération.