En raison de leur flair très puissant, les chiens sont utilisés par les forces policières pour rechercher des cadavres humains dans différents environnements. Ces animaux arrivent à détecter les éléments qui émanent de restes humains en décomposition. Mais quels sont ces composés volatils repérés par les chiens ? Pour répondre à cette question et contribuer à l’amélioration de l’entraînement des chiens détecteurs de cadavres, l’étudiante Frédérique Ouimet, finissante à la maîtrise en chimie à l’UQTR, a mené des recherches au cours des dernières années.
« Mes travaux avaient deux objectifs. Je voulais d’abord identifier les composés organiques volatils libérés tout particulièrement par des ossements humains secs, c’est-à-dire rendus à un stade avancé de décomposition. Je souhaitais ensuite évaluer le potentiel d’utilisation d’ossements humains secs comme outils d’apprentissage pour les chiens détecteurs de cadavres », explique Frédérique Ouimet, qui a d’abord obtenu un baccalauréat en chimie – profil criminalistique à l’UQTR, avant d’entamer ses études à la maîtrise.
Analyser les composés dégagés par les ossements
Pour réaliser la première partie de ses travaux, l’étudiante devait d’abord se procurer des os humains secs. Elle a pu obtenir ces précieux échantillons au laboratoire de Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales] – ou REST[ES] – de l’UQTR, un site extérieur sécurisé où les chercheuses et chercheurs étudient la décomposition en plein air de corps humains provenant de donneurs.
« Dans le respect des règles d’éthique, et avec délicatesse, j’ai prélevé des ossements secs sur les cadavres de trois donneurs dont la décomposition était relativement avancée. J’ai pu ainsi obtenir un humérus, une vertèbre, une clavicule et une côte chez chaque donneur, pour un total de 12 échantillons », mentionne la chercheuse, qui a replacé tous ces ossements aux endroits où elle les avait pris, à l’issue de ses travaux.
Après avoir apporté ses échantillons dans un laboratoire de l’université, l’étudiante a procédé à des analyses. Chaque os a été placé sous une boîte d’aluminium pour une quinzaine de minutes. Pendant ce laps de temps, les composés organiques volatils dégagés par l’os s’accumulaient dans la boîte. À l’aide d’une ouverture située dans la partie supérieure du contenant, les composés volatils ont ensuite été aspirés dans un tube, puis analysés grâce à différents équipements scientifiques.
« D’un os à l’autre, et d’un donneur à l’autre, les résultats se ressemblent beaucoup, constate Frédérique Ouimet. Malgré de petites variations, j’ai obtenu sensiblement les mêmes types de composés organiques volatils pour tous mes échantillons, et ils sont répartis de façon relativement similaire. J’ai trouvé, par exemple, des composés sulfurés et azotés, des alcools, des éthers, des acides et d’autres molécules. C’est difficile d’établir un profil précis, car l’environnement où un os se décompose, ainsi que les caractéristiques corporelles et l’état de santé de la personne avant son décès, influencent les types de composés volatils obtenus. Mais je suis quand même arrivée à observer de grandes tendances quant aux sortes de molécules dégagées par des os humains secs dont la décomposition a été réalisée en forêt, sous climat nordique. »
Améliorer les outils utilisés par les escouades canines
Dans la seconde partie de ses travaux, l’étudiante a travaillé en collaboration avec l’unité canine de la Police provinciale de l’Ontario (OPP). Pour entraîner ses chiens détecteurs de cadavres, cette équipe utilise des membres amputés, donnés généreusement par des personnes atteintes de diabète qui ont dû subir l’ablation d’une partie de leur corps (pied ou tibia).
« L’unité canine possède un petit centre extérieur, appelé OPP Decomposing Odor Research Site ou ODORS, où elle laisse les membres amputés se décomposer, jusqu’à devenir des ossements. Après un certain temps, l’équipe canine prend ces os, les place dans des pots et les transporte sur les lieux d’entraînement des chiens. Cette façon de procéder, et le fait que les ossements proviennent de personnes diabétiques, peut affecter potentiellement la décomposition et les composés organiques volatils qui se dégagent. Je voulais donc vérifier si les os utilisés par l’unité canine étaient vraiment adéquats pour entraîner les chiens à détecter les ossements humains secs », indique Frédérique Ouimet.
La chercheuse a d’abord procédé à l’analyse des os d’entraînement de l’escouade canine. Ces outils dégageaient aussi des composés organiques volatils, relativement semblables à ceux des ossements provenant du site RESTES, avec quelques variations dans les classes chimiques. Mais la surprise est venue des quantités recueillies : les os utilisés par l’escouade canine ont généré près de trois fois plus de composés organiques volatils que les ossements secs du site RESTES.
« Puisque nous voulons que les os utilisés par l’unité canine se rapprochent le plus possible des ossements humains secs tels que ceux prélevés au site RESTES, cette différence dans le nombre de composés volatils nous posait problème, ajoute l’étudiante. Il nous fallait donc vérifier l’impact de cette différence sur la formation des chiens. Les membres de l’unité canine ont alors effectué trois entraînements avec des ossements secs du site RESTES, puis trois autres avec des os de membres amputés. Ces exercices ont eu lieu à Orillia, en Ontario. Les chiens devaient trouver les ossements cachés dans différents contenants, dans des bâtiments ou à l’extérieur. »
L’équipe a constaté une différence dans les résultats obtenus par les chiens. Ces derniers avaient plus de difficulté à détecter les ossements humains provenant du site RESTES. « Il était plus facile pour les chiens de trouver les os habituellement utilisés par l’escouade canine, parce qu’ils dégagent plus de composés organiques volatils. Pour pouvoir entraîner les chiens à bien détecter des ossements humains secs provenant d’une décomposition en plein air, il faut donc plutôt utiliser des os qui diffusent moins de composés organiques volatils, comme ceux du site RESTES. J’ai donc suggéré à l’équipe canine de laisser les os provenant de membres amputés à l’extérieur, pour qu’ils poursuivent leur décomposition et deviennent vraiment secs, grâce au travail des insectes et aux conditions climatiques », rapporte Frédérique Ouimet.
Un parcours universitaire stimulant
L’étudiante, qui a réalisé ses recherches sous la direction de la professeure Shari Forbes, se dit très heureuse de son expérience. « Ce projet m’a permis non seulement de travailler en laboratoire, où j’aime bien me retrouver, mais également d’aller sur le terrain, autant au site RESTES qu’avec les membres de l’unité canine et leurs chiens. J’ai trouvé aussi de l’intérêt à mes travaux parce qu’ils comportaient à la fois un aspect théorique et un aspect pratique. C’était très motivant de pouvoir constater l’utilité de mes efforts et l’aide concrète que j’ai pu apporter à l’unité canine de la police ontarienne. Sentir que mes recherches servent à quelque chose, c’est un peu comme une récompense », souligne-t-elle.
En novembre dernier, Frédérique Ouimet a présenté ses résultats lors de la 23e réunion triennale de l’Association internationale des sciences forensiques. « J’en suis fière, car très peu de recherches ont été menées à travers le monde sur les composés organiques volatils émanant d’ossements humains. Je suis passionnée par ce sujet, ainsi que par tout ce qui concerne les ossements et la décomposition. Je poursuivrai d’ailleurs mes études au doctorat l’été prochain et mes travaux porteront sur la détection de cadavres en milieu aquatique », ajoute-t-elle.
L’étudiante a pris goût à la recherche en réalisant différents projets scientifiques à l’intérieur de son baccalauréat. Elle dit avoir beaucoup aimé son parcours à l’UQTR. « Je suis aussi très reconnaissante envers les personnes qui acceptent de donner leur corps à la science, tout particulièrement pour les recherches menées au site RESTES. Sans ces généreux donateurs, nous ne pourrions réaliser des découvertes aussi intéressantes ni faire avancer aussi rapidement les connaissances », de conclure Frédérique Ouimet.