La professeure au Département de psychoéducation et travail social Évelyne Touchette, qui s’intéresse aux questions du sommeil chez les enfants depuis plusieurs années, mènera une étude sur les différentes trajectoires de sieste chez les 2 à 6 ans. Un financement de 74 000 $ octroyé par les Instituts de recherche en santé du Canada lui permettra de constituer une équipe d’experts, afin de produire des recommandations au ministère de la Famille sur les pratiques à adopter au sein des centres de la petite enfance (CPE). Le peu d’études sur la sieste, comparativement au sommeil nocturne, laisse présager que ses recherches auront beaucoup d’impacts dans les milieux.
Le sommeil joue un rôle crucial dans le développement mental de l’enfant, notamment sur le plan de la cognition, du contrôle des émotions et du comportement, sans parler de la santé physique. Celui-ci évolue d’ailleurs en différentes phases au cours de cette période cruciale de la vie. En effet, les nouveau-nés ne font pas de différence entre la nuit et le jour, dans le stade dit polyphasique. Puis, vient une période où l’enfant fait une ou deux siestes par jour (stade biphasique), avant d’atteindre une phase de sommeil nocturne, définitivement consolidée vers l’âge de 6 ans (stade monophasique). Cependant, la consolidation du sommeil est très variable entre les enfants, dus à des facteurs biopsychosociaux. Certains enfants auront besoin de siestes, mais d’autres non, si bien qu’il est ardu de tracer un modèle unique : l’arrêt de la sieste peut survenir à tout moment entre 1 et 5 ans.
Même si la majorité des études se concentrent principalement sur le sommeil nocturne, la recherche prouve que le sommeil diurne est bénéfique dans le processus de développement d’un enfant. Les siestes renforcent l’apprentissage et améliorent la régulation des émotions, ce qui constituerait des atouts pour améliorer la réussite scolaire. Cependant, d’autres études mentionnent que la sieste peut avoir un impact négatif sur le sommeil nocturne de certains enfants, en causant une heure de coucher plus tardive. Comme nous savons que le sommeil nocturne est bénéfique pour le développement du cerveau, la question de la sieste peut devenir un casse-tête pour les parents et les éducateurs.
Comment appliquer la sieste à la garderie ?
La plupart des CPE appliquent la sieste systématiquement, même si plusieurs cas de figure existent. Pour certains enfants de 4 ou 5 ans, qui ont déjà consolidé leur sommeil, dormir en après-midi peut perturber leur sommeil nocturne, en les entraînant dans un cercle vicieux, comme nous venons de l’évoquer.
La professeure Évelyne Touchette, du Département de psychoéducation et travail social de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), souhaite donc outiller les CPE face à ce manque de repères et de directives en créant des profils de sommeil, afin de comprendre la variabilité et l’évolution des siestes chez les enfants. Pour ce faire, elle devra documenter le sommeil diurne pour chaque tranche d’âge et identifier les facteurs associés à l’arrêt de la sieste.
« Nous allons fournir des informations basées sur des données probantes afin de savoir à quel moment les siestes devraient être obligatoires ou non, en fonction des besoins spécifiques de l’enfant », explique la professeure Évelyne Touchette.
L’aspect social et les facteurs environnants de la sieste
Les habitudes de sommeil ont certes des causes biologiques, comme le sexe et le poids à la naissance, mais aussi des facteurs provenant de l’environnement, qui seront pris en compte au cours de cette étude.
« Ces facteurs établissent des normes et des attentes sur le sommeil des enfants. Par exemple, on sait que les services de garde en milieu familial ont un ratio d’enfants inférieur à celui des garderies, ce qui peut aider les enfants à s’endormir », précise la chercheuse.
S’appuyer sur des études longitudinales et une métanalyse
Pour mener ses travaux, la chercheuse s’appuiera sur les deux volets de l’Étude longitudinale québécoise sur le développement de l’enfant (ELDEQ 1 et 2), produit par l’Institut de la statistique du Québec, respectivement entre 1997-1998 et 2018-2021. Ces deux études se basent sur des données recueillies auprès de deux cohortes d’enfants (respectivement 2 120 et 4 700 sujets) et couvrent l’ensemble des régions administratives du Québec, tout en considérant plusieurs sous-groupes de populations. Avec l’aide d’un questionnaire d’auto-évaluation rempli par la mère, ces recherches comptabilisent la durée de la sieste et le sommeil nocturne chez les enfants âgés de 2,5 à 6 ans.
« Grâce au financement reçu, nous allons pouvoir faire des analyses plus poussées avec une équipe d’experts, afin de créer des trajectoires de sommeil sur la période d’âge préscolaire. En produisant des références basées sur des moyennes, ce sera plus facile pour les CPE d’y voir clair à l’avenir et de créer de la rythmicité qui favorisera un sommeil réparateur chez les enfants », ajoute Évelyne Touchette.
Les parents et les éducateurs et éducatrices en service de garde auront maintenant droit à des recommandations qui établiront des points de références, en tenant compte des variations individuelles pour adopter de meilleures habitudes de sommeil auprès des enfants d’âge préscolaires, où le sommeil a un effet majeur sur leur développement.