La douleur des patients hospitalisés dans les unités de soins intensifs serait-elle parfois sous-estimée et donc non suffisamment soulagée ? C’est une préoccupation partagée par Julie Houle, professeure au Département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), et l’équipe de chercheurs et de cliniciens avec qui elle travaille. Toutefois, il ne faut pas penser qu’il s’agit d’insouciance de la part du personnel; cela serait plutôt lié à une méconnaissance des outils d’évaluation de la douleur et de ses traitements.
Gérer la douleur, à divers degrés, fait partie intégrante du travail de l’infirmière et de l’équipe multidisciplinaire dans les unités de soins intensifs. De fait, plus de 50 % des patients qui y sont hospitalisés ressentiraient une douleur significative durant leur séjour. « C’est normal, leur condition de santé les rend vulnérables et ils reçoivent plusieurs traitements invasifs qui peuvent générer de la douleur. Aussi, ce n’est pas parce qu’un patient est inconscient qu’il y a absence de douleur », poursuit Julie Houle, qui est l’une des cochercheuses du projet Managing Pain in the Intensive Care Unit, dirigé par la professeure Céline Gélinas de l’École des sciences infirmières Ingram de l’Université McGill.
Le projet est également en collaboration avec des cliniciens du CIUSSS MCQ, soit Dr Jean-Nicolas Dubé, intensiviste et chercheur clinicien, ainsi que Nathalie Thiffault, conseillère cadre en soins infirmiers en soins critiques.
Analyser la douleur du patient
Lorsqu’un patient est conscient, il peut verbaliser sa douleur par lui-même ou lorsque l’infirmière le questionne. Il existe aussi des outils d’évaluation qui permettent à l’équipe de l’unité de soins intensifs d’évaluer la douleur chez les patients inconscients ou incapables de verbaliser en étant à l’affût de signes comportementaux bien précis. Il faut savoir que même inconscient, un patient réagit à la douleur, et que celle-ci peut avoir des conséquences significatives sur l’évolution clinique et la durée de séjour aux soins intensifs ainsi que sur sa réadaptation.
Un des outils utilisés est l’Échelle comportementale de la douleur, qui a été développé et validé par la professeure Gélinas. Cet outil regroupe une série d’indicateurs permettant de procéder à une évaluation du patient : par exemple, selon son expression faciale (neutre, tendue, grimace), ses mouvements corporels (absence, protection, agitation) ou encore sa tension musculaire (détendu, rigide, très crispé).
Chez le patient incapable de verbaliser sa douleur, l’infirmière doit d’abord observer le patient au repos (score de référence), puis lors d’une procédure douloureuse pour constater la présence de signes et décider si l’on doit lui donner une médication antidouleur. L’infirmière évalue le patient avant d’administrer l’analgésique et, ensuite, au pic d’action pour déterminer si le médicament soulage ou non efficacement la douleur.
Constats
La recherche, menée au sein de six unités de soins intensifs au Québec et en Ontario, se déroule en plusieurs phases. En premier lieu, l’équipe de chercheurs a questionné des patients ayant séjourné aux soins intensifs pendant plus de 48 heures et a collecté des données à partir des dossiers médicaux pour avoir un portrait de la situation.
« Cette première étape nous permet de constater que, de façon générale, la douleur du patient est sous-évaluée. On se rend également compte, par exemple, que l’évaluation avec l’Échelle comportementale de la douleur pour les patients non verbaux peut être délaissée au profit d’indicateurs liés aux signes vitaux – pression artérielle, fréquence cardiaque, etc. Ceux-ci s’avèrent peu fiables s’ils sont considérés de façon isolée pour déterminer si le patient est souffrant ou non, du fait que les variations de ces paramètres peuvent être attribuées à plusieurs autres facteurs », soutient Julie Houle.
La chercheuse poursuit : « À partir de là, il faut se demander quelles sont les barrières à l’utilisation d’une méthode d’évaluation de la douleur adaptée au contexte clinique – par exemple, l’Échelle comportementale de la douleur chez les patients incapables de s’exprimer – et à des méthodes de soulagement de la douleur efficaces. On peut penser que le temps, l’accessibilité aux outils ou encore la méconnaissance de ceux-ci par les intervenants peuvent y être pour quelque chose. »
C’est pourquoi la deuxième phase de la recherche consiste à mener des groupes de discussions auprès des équipes interprofessionnelles œuvrant dans les unités de soins intensifs. « Il s’agit d’identifier les barrières et les facilitateurs à l’utilisation des méthodes d’évaluation et de soulagement de la douleur adaptées à la condition clinique de chaque patient et ce, en tenant compte du contexte des différentes unités de soins intensifs faisant partie de l’étude », précise la professeure de l’UQTR.
En troisième étape, l’équipe de chercheurs proposera, à partir des résultats des groupes de discussion, des solutions pour favoriser l’évaluation ainsi que le soulagement de la douleur de façon régulière et systématique avec les bons moyens. Les chercheurs misent également sur l’amélioration de la communication et la collaboration interprofessionnelles dans les unités de soins intensifs.
Financement
Le projet a reçu un financement des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) de 100 000 $ pour 2016-2017, ainsi qu’une somme de 200 000 $ sur 3 ans (2018-2021) octroyée par le Fonds de recherche du Québec – Santé.