Une étude publiée par Statistique Canada au début de 2010 démontre que la condition physique des Canadiens a diminué de manière considérable au cours des 30 dernières années. En effet, l’Enquête canadienne sur les mesures de santé révèle notamment que les deux tiers des adultes souffrent d’embonpoint ou sont obèses, tout comme le quart des enfants.
Malgré ce constat chez les jeunes, on hésite encore à réduire le nombre d’heures passées en classe pour augmenter le temps alloué à l’activité physique dans les écoles. « Pourtant, ce n’est pas d’hier que des études démontrent qu’un nombre accru d’heures d’activités apporte des bienfaits sur la condition physique et les habitudes de vie des jeunes, sans pour autant diminuer leur performance scolaire », affirme François Trudeau, professeur au Département des sciences de l’activité physique de l’UQTR.
Sa réflexion se fonde en partie sur l’Étude de croissance et de développement de Trois-Rivières, débutée en 1970 par les chercheurs Roy J. Shephard, professeur émérite de l’Université de Toronto, et feu Hugues Lavallée, de l’UQTR. Aujourd’hui, c’est François Trudeau et son équipe qui assurent le suivi de cette étude longitudinale unique au monde.
L’Étude de Trois-Rivières : les origines
En 1970, les Drs Lavallée et Shephard décident de vérifier les effets d’un programme d’éducation physique de cinq heures par semaine sur la croissance, la condition physique et la performance scolaire des élèves du primaire. Ils choisissent alors deux écoles, l’une à Trois-Rivières et l’autre à Pont-Rouge, où ils recrutent 546 participants, qu’ils suivront jusqu’en 1977. Les chercheurs, assistés par une équipe de scientifiques, constituent deux groupes dans chaque école : le groupe expérimental, qui a droit à une heure d’éducation physique durant les cinq jours de la semaine, et le groupe de contrôle, qui suit le programme hebdomadaire de 40 minutes, comme prescrit par le ministère.
Les chercheurs mesurent divers paramètres psychomoteurs (coordination, équilibre, réflexes), médicaux (tests sanguins, cardiaques, pulmonaires) et physiologiques (puissance aérobie maximale, densité osseuse, indice de masse corporelle), en plus d’évaluer la condition physique (vitesse de course, redressements assis). Ils examinent également des paramètres de performance scolaire (résultats aux tests du ministère, moyenne scolaire).
Condition physique et performance scolaire
Sans grande surprise, les Drs Lavallée et Shephard constatent une augmentation importante de la capacité cardio-respiratoire chez le groupe expérimental, de même qu’une meilleure performance aux tests musculaires. Toutefois, malgré le fait d’avoir coupé 14 % du temps académique, ils observent que la performance scolaire s’est maintenue, voire même améliorée par rapport au groupe de contrôle.
Ce lien entre l’activité physique et la performance scolaire semble faire consensus au sein de la communauté scientifique, à la lumière de recherches réalisées récemment en Californie et en Australie. François Trudeau explique : « L’activité physique permettrait à l’individu de récupérer sur le plan cérébral. À cet égard, de nouvelles évidences apparaissent, notamment que l’activité physique contribuerait à créer un environnement cérébral favorable à l’apprentissage en augmentant le taux d’antioxydants et la neurogenèse (le processus de création de nouveaux neurones) dans le cerveau, particulièrement dans l’hippocampe. » Rappelons que l’hippocampe joue un rôle important dans la mémoire déclarative (ce dont on se souvient et qui peut être décrit verbalement).
Premier suivi : les habitudes de vie
Début 1990, soit une quinzaine d’années après la publication des résultats de l’Étude de Trois-Rivières, les professionnels de la santé commencent à s’inquiéter de l’apparition dès le bas âge de facteurs de risques, tel l’embonpoint, liés à certains problèmes de santé, comme les maladies cardio-vasculaires. « Comme nous savons que de bonnes habitudes de vie s’acquièrent dès un jeune âge, il devenait intéressant de voir s’il y avait une différence entre les participants des deux groupes », affirme François Trudeau, qui a pris le flambeau afin de poursuivre la recherche débutée en 1970.
Sur les 536 participants, quelque 300 acceptent de revenir pour un premier suivi, qui s’est déroulé entre 1996 et 1999. Âgés en moyenne de 35 ans, ils acceptent de répondre à un questionnaire complet sur leurs habitudes de vie (alimentation, tabagisme, pratique de l’activité physique, problèmes de santé, etc.). Les professeurs Trudeau et Shephard, ce dernier ayant également collaboré à cette phase de l’étude, constatent que les résultats du groupe expérimental diffèrent de ceux du groupe de contrôle sur certains aspects : de façon générale, les hommes et les femmes présentent une fréquence moins élevée de maux de dos et ont un meilleur équilibre, les femmes sont plus actives et il y a moins de tabagisme chez les hommes.
Deuxième suivi : les périodes critiques
Le premier suivi terminé, M. Trudeau entendait déjà en faire un second, afin d’identifier certaines périodes critiques où les gens deviendraient moins actifs. En 2006, aidé par deux étudiants à la maîtrise en sciences de l’activité physique, soit Richard Larouche et Frédéric Lavoie, il contacte une centaine de participants, qui sont invités à remplir un autre questionnaire. Les résultats permettent au chercheur de remarquer que l’entrée sur le marché du travail ou l’arrivée d’un enfant coïncide avec une baisse de l’activité physique. « En terme de santé publique, le fait d’identifier ces périodes critiques permettra de prévoir des contextes pour favoriser l’activité physique », précise-t-il.
On peut donc penser qu’il importe de réitérer, tout au long de la vie, l’importance de conserver de saines habitudes de vie, et ce, même si la participation à des activités physiques organisées à l’enfance est un indice de prédiction significatif des comportements actifs chez l’adulte. « L’activité physique, ce n’est pas comme un vaccin administré à un enfant et, après, nous n’avons plus à nous en occuper. Au contraire, il est nécessaire de faire des rappels de temps à autre », conclut François Trudeau.