C’est la hantise des couples qui souhaitent avoir un enfant : l’avortement spontané. Communément appelé «fausse couche», ce phénomène biologique survient en moyenne sur 15 % des grossesses durant le premier trimestre, une fréquence sous-estimée puisque certaines études évaluent jusqu’à 70 % les échecs d’implantation d’œufs normalement fécondés. «Nous essayons de comprendre ce qui se passe lors de la perte embryonnaire précoce, quels sont les conditions cellulaires et les mécanismes moléculaires sous-jacents», affirme Jovane Hamelin Morissette, doctorante à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Entre autres causes, l’avortement spontané ainsi que d’autres complications, par exemple l’hypertension de grossesse, seraient liés à une inflammation et, par ricochet, à une composante du système immunitaire. L’étudiante au doctorat en biologie cellulaire et moléculaire ajoute : «Cela peut paraître contre-intuitif, mais nous avons besoin d’une réaction inflammatoire pour que la grossesse ait lieu. Sans cette réaction inflammatoire, il n’y a pas de grossesse.»
Cette réaction inflammatoire est normale au début de la grossesse, du fait que le fœtus porte en ses gènes, notamment, des protéines étrangères venant du père. Le fœtus serait néanmoins en mesure de déjouer les processus du rejet immunologique maternel; des cellules issues de l’embryon pourraient effectivement apprivoiser le système immunitaire de la mère, et ce, en limitant la mise en œuvre des processus inflammatoires normalement requis lors du rejet de corps étrangers.
«Toutefois, dans le cas d’un avortement spontané, nous avons remarqué une forte activité inflammatoire qui perdure au-delà de la période normale de fécondation et d’implantation de l’œuf», soutient Jovane. Son projet de doctorat, sous la direction des professeurs Carlos Reyes-Moreno et Céline Van Themsche du Département de biologie médicale de l’UQTR, vise à étudier les mécanismes de communication entre le macrophage – un type de globule blanc – et les cellules du trophoblaste, soit la couche externe du placenta qui assure le contact avec le sang de la mère et dont la fonction consiste à fournir des nutriments à l’embryon.
Mécanisme à l’œuvre
Il s’agissait d’abord de comprendre le rôle du macrophage, une cellule immunitaire, dans les inflammations. Au début d’une inflammation, il y a certaines cellules – des «premières répondantes» – qui se rendent sur place, par exemple les neutrophiles. Celles-ci vont alors envoyer un signal pour recruter des macrophages qui, à leur arrivée sur le site de l’inflammation, sont très actifs et pro-inflammatoires. Cependant, alors que l’inflammation perdure, les macrophages changent de rôle pour devenir anti-inflammatoires, sans quoi se développerait une inflammation chronique. En changeant de rôle pour devenir anti-inflammatoire, le macrophage sécrète des molécules qui vont envoyer un signal aux autres cellules en vue de stopper l’inflammation.
Un de ces signaux est transmis par une cytokine – une molécule de signalisation – appelée le leukemia inhibitory factor (LIF). Produite naturellement par les macrophages – mais aussi par d’autres cellules – lors d’une infection bactérienne, la molécule LIF est un messager cellulaire qui agirait comme régulateur des fonctions pro-inflammatoires.
Application à l’avortement spontané
Ce mécanisme, parmi d’autres, se produirait dans la fenêtre de l’implantation embryonnaire. « Nous pensons que le macrophage joue un rôle central dans la tolérance du corps au fœtus. Au début de la grossesse, les macrophages sont recrutés à cause de la petite réaction inflammatoire normale due à la présence de l’embryon. Toutefois, lorsque les macrophages sont trop actifs dans leur phase pro-inflammatoire, il y aurait un rejet du fœtus», croit la jeune chercheuse.
Et le LIF pourrait bien être la solution, en tant que médiateur dans ce dialogue entre le système immunitaire et les cellules du trophoblaste. «Nous avons démontré que le LIF est capable de désactiver directement le macrophage, dont l’activité pro-inflammatoire serait associée avec la mort du placenta. Chez la souris, on observe des rejets d’embryon en l’absence de la molécule LIF. La réponse inflammatoire initiale est trop forte et trop longue, ce qui peut causer des pertes embryonnaires. Par contre, lorsqu’on traite les cellules du trophoblaste avec le LIF, elles produisent un médiateur qui désactive le macrophage. On renverse donc l’effet inflammatoire et les embryons se développent normalement. Bref, si le LIF réussit à tempérer les effets de l’inflammation normale, alors il pourrait empêcher le macrophage d’avoir des fonctions toxiques pour le bébé», conclut Jovane Hamelin, qui a remporté une bourse d’études octroyée par le Réseau québécois en reproduction et dont le projet de doctorat a également reçu un financement du CRSNG.