Dans la société québécoise, les proches aidants sont reconnus pour leur dévotion, leur altruisme et leur amour à l’égard des personnes de qui ils ont soin. Or, derrière toutes ces qualités humaines se cache parfois un mal profond teinté d’idées noires. Audrée Teasdale-Dubé, doctorante en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), s’est penchée sur la détresse que vivent ces personnes au quotidien.
À l’aube de sa dernière année universitaire, Audrée travaille actuellement à compléter sa thèse de doctorat. Riche de quatre années d’expérience aux cycles supérieurs, son sujet témoigne pourtant d’une préoccupation qui remonte à ses débuts dans le domaine de la psychologie.
« Pendant plusieurs années, j’ai travaillé comme bénévole et intervenante dans les centres de prévention du suicide. Je m’intéresse donc à tout ce qui est détresse suicidaire, particulièrement chez les personnes âgées. En complétant mon baccalauréat, je me suis rendu compte que les aînés ne recevaient pas beaucoup d’attention de la part des chercheurs lorsqu’il était question de détresse psychologique. J’ai aussi remarqué que bien peu de choses avaient été écrites sur les proches aidants, même si cette population est logiquement à risque de développer une détresse suicidaire », indique la doctorante.
« Au-delà de tout ça, ce sujet a été très peu étudié au Québec, et même au Canada. Dans le cadre de ma thèse, je voulais donc essayer d’établir le phénomène à l’échelle provinciale. J’ai commencé par décrire la situation en utilisant un devis qualitatif. Pour ce faire, j’ai recruté et interrogé six proches aidants, qui ont accepté de me parler de leurs idées suicidaires », ajoute Audrée.
Les participants recrutés par l’étudiante étaient tous des proches aidants âgés de 60 ans et plus, qui offraient des soins à des personnes atteintes de troubles neurocognitifs. Autrefois regroupés sous le vocable de « démence », ces troubles incluent notamment les maladies d’Alzheimer, de Parkinson, et la démence à corps de Lewy. Aux dires d’Audrée, ce premier volet de recherche a donné plusieurs résultats intéressants.
« Les proches aidants m’ont parlé de conflits familiaux, de difficultés liées au placement, et de sentiments d’injustice face à la maladie et aux symptômes. Ils m’ont également fait part de leurs idées les plus sombres. En fait, quatre participants pensaient activement à s’enlever la vie, et trois d’entre eux avaient déjà un plan pour se suicider. Au départ, ils ont tous nié qu’ils savaient comment ils s’y prendraient pour s’enlever la vie, mais ils ont fini par avouer qu’ils prévoyaient mourir d’une façon bien précise s’ils décidaient de passer à l’acte », confie Audrée.
Une situation répandue ?
Si le portrait tracé par Audrée n’est pas des plus reluisants, il faut encore s’interroger à savoir si la détresse psychologique est quelque chose de commun chez les proches aidants. C’est sur cette question que la doctorante travaille actuellement.
« Si je réussis à démontrer que le phénomène existe et qu’il est répandu, ça pourrait devenir quelque chose dont on parle au Québec. Je pourrais peut-être même identifier des attributs chez les proches aidants qui pourraient nous aider à dépister leur détresse suicidaire. Pour y parvenir, je dois cependant recueillir plus de données. Plus je pourrai interroger de proches aidants, mieux je serai en mesure de voir comment leur détresse se manifeste, et dans quelle mesure elle se manifeste », explique-t-elle.
La doctorante a toutefois du mal à recruter des participants, puisque ceux-ci évoluent dans un contexte relativement contraignant.
« Les proches aidants n’ont pas toujours le temps de participer à des activités de recherche. La nature des troubles neurocognitifs fait en sorte que plus la maladie de leur proche progresse, et plus ceux-ci dépendent de leurs soins. Ils ont donc moins de temps à m’accorder, et sont moins disposés à se déplacer », conclut Audrée.