Quels sont les impacts cliniques de la commercialisation des médicaments génériques sur la population? Une nouvelle étude menée par une équipe de chercheurs québécois, au sein de laquelle participe la professeure Jacinthe Leclerc du Département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), tente de faire la lumière sur cette épineuse question de santé publique. Les chercheurs ont découvert que le nombre de visites à l’hôpital (consultations à l’urgence ou hospitalisations) a connu une augmentation chez les utilisateurs des versions génériques de trois médicaments pour réguler la pression artérielle, et ce, un mois seulement après leur commercialisation au Canada.
Se gardant toutefois de faire des conclusions hâtives, les chercheurs affirment que les résultats tendent à laisser penser que les reproductions génériques, moins dispendieuses, ne seraient pas exactement équivalentes à la version originale du médicament. Des recherches plus poussées seront nécessaires afin de confirmer ou infirmer cette nouvelle hypothèse.
Les médicaments génériques réellement identiques aux originaux?
«D’emblée, on sait que la formule chimique de l’ingrédient actif d’un médicament générique doit être en tous points équivalente à celle du médicament original. C’est une exigence de Santé Canada. Seuls les ingrédients non médicamenteux, comme les agents de conservation, les colorants ou les produits de remplissage, peuvent différer», affirme la professeure Jacinthe Leclerc de l’UQTR, doctorante en sciences pharmaceutiques – pharmacoépidémiologie à l’Université Laval.
Elle poursuit: «Une formule chimique identique de la substance active ne garantit pas que le processus de synthèse du médicament sera identique, tout comme la constitution de la pilule (ingrédients inactifs). Ces éléments sont propres à chaque fabricant et, ainsi, la forme finale de la pilule peut différer. Néanmoins, la vitesse à laquelle un médicament générique est absorbé dans le corps, par rapport à son équivalent original, est rigoureusement encadrée par Santé Canada et doit être jugée comparable avant sa mise en marché.»
Impacts de la substitution aux médicaments génériques
Dans le cadre de sa thèse de doctorat, dirigée par Paul Poirier (Université Laval) et codirigée par Claudia Blais (Institut national de santé publique du Québec) et Line Guénette (Université Laval), et avec qui collaborent également deux statisticiens de l’Institut national de santé publique du Québec (Louis Rochette et Denis Hamel), la professeure Leclerc étudie l’impact de la substitution aux médicaments génériques au sein de la population québécoise traitée en cardiologie.
Les chercheurs ont ainsi comparé les hospitalisations et les consultations à l’urgence chez 136 177 patients, âgés de 66 ans et plus, prenant l’un des trois médicaments visés par l’étude – losartan (Cozaar®), valsartan (Diovan®) and candésartan (Atacand®) – pour l’hypertension et l’insuffisance cardiaque, avant et après que les versions génériques apparaissent sur le marché.
Entre autres, les chercheurs ont découvert que:
- avant la commercialisation des versions génériques des trois médicaments, la proportion de consultations à l’urgence et d’hospitalisations chez les patients était de 10%;
- durant le premier mois de leur commercialisation, le taux de consultations à l’urgence et d’hospitalisations augmente de 8 et 14% chez les utilisateurs des versions génériques seulement, selon le médicament.
«Nos observations sur l’augmentation des consultations à l’urgence et des hospitalisations chez les patients pourraient refléter le fait que la version générique, si elle est équivalente, n’est pas nécessairement identique au médicament original. De plus, dans le cadre de notre étude, les patients pourraient prendre une version générique du médicament qui serait de 6 à 21% différente sur le plan pharmacocinétique», précise la chercheuse de l’UQTR.
Les résultats sont publiés dans la revue Circulation: Cardiovascular Quality and Outcomes de l’American Heart Association.
Pharmacovigilance
Les conclusions de l’étude sont basées principalement sur la pharmacovigilance, soit la surveillance, par les professionnels de la santé, des événements indésirables qui surviennent lors de la consommation d’un médicament original ou générique. Pour Jacinthe Leclerc, «le signal de pharmacovigilance qui vient d’être détecté avec trois antihypertenseurs doit être validé en poursuivant nos travaux avec d’autres médicaments, d’autres populations, et bien sûr, en écoutant nos patients lorsqu’ils rapportent un malaise en lien avec l’utilisation de médicaments.»
À terme, la professeure de l’UQTR espère que ses recherches contribueront à augmenter la pharmacovigilance et à mieux outiller les professionnels de la santé, au premier plan les infirmières. «Dans leur pratique quotidienne, les infirmières administrent et peuvent parfois prescrire des médicaments aux patients. Et bien que les versions génériques offrent des avantages indéniables sur le plan des coûts, il importe de connaître les différences et les similitudes entre un médicament d’origine et un médicament générique, afin de pouvoir répondre adéquatement aux questions du patient. Parallèlement, il convient de porter une attention particulière au statut générique ou original d’un médicament, et de déclarer tout événement indésirable à Santé Canada», conclut Jacinthe Leclerc.
Pour en savoir plus
Le communiqué de l’American Heart Association
Le lien vers l’article scientifique Impact of the Commercialization of Three Generic Angiotensin II Receptor Blockers on Adverse Events in Quebec, Canada