Au Québec, les journalistes et les animateurs de Radio-Canada sont considérés comme des modèles à suivre en matière de maîtrise de la langue. Or, au sein même de la société d’État, la référence linguistique n’est nulle autre qu’un ancien étudiant de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Depuis près d’une trentaine d’années, Guy Bertrand travaille à titre de traducteur et de conseiller linguistique pour la Société Radio-Canada. Diplômé du baccalauréat en langues modernes de l’UQTR (profil traduction), il mentionne d’entrée de jeu l’importance que ses études ont eu pour la suite de son parcours.
« J’ai grandement apprécié l’enseignement que j’ai reçu à l’Université. C’était pertinent, et tout à fait adapté au marché du travail. J’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui étaient extrêmement éveillés à ce qu’était la traduction en entreprise. Ton That Thien, par exemple, nous disait de traduire les idées et non de traduire les mots. Ça m’a marqué, parce que c’est comme ça qu’on traduit intelligemment », se rappelle-t-il.
Une carrière à la SRC
Après l’obtention de son diplôme en 1977, M. Bertrand a quitté Trois-Rivières pour lancer sa carrière. Pendant plusieurs années, il a agi à titre de traducteur technique pour diverses entreprises. Puis, en 1991, il décroche finalement un emploi de traducteur et de conseiller linguistique à Radio-Canada.
« Lors de mon entrevue, on m’a demandé si j’avais de l’expérience en radiotélévision. J’ai répondu que oui, puisque j’avais chanté de l’opéra aux Beaux dimanches, et que j’avais fait des entrevues à la radio par rapport à cela. L’intervieweur a éclaté de rire, et m’a dit qu’il voulait plutôt savoir si j’avais de l’expérience comme traducteur en radiotélévision. Me voyant rougir, il a ajouté que Radio-Canada employait un conseiller linguistique, qui était à l’époque Camil Chouinard, et que son travail était de faire des chroniques en ondes. Il m’a dit que de temps à autre, je pourrais le remplacer », raconte-t-il.
Or, l’idée d’intervenir à la radio déplaisait grandement à M. Bertrand. Il a néanmoins accepté de se prêter au jeu, afin d’obtenir le poste qu’il convoitait. Il a ainsi fait ses premiers pas à la radio, en plus de s’acquitter de ses tâches de traducteur. Après sept années au service de la société d’État, ses supérieurs lui ont demandé de devenir conseiller linguistique à temps plein. Ce rôle lui semblait destiné, puisqu’il répondait déjà aux questions linguistiques de ses collègues. Il devait cependant réussir à se démarquer, puisque cette fonction était convoitée par plusieurs personnes.
« On m’a demandé ce que je ferais si j’obtenais le poste. J’ai répondu que je ferais d’abord une écoute complète de ce qui se fait dans l’ensemble des stations régionales de Radio-Canada, afin de faire un bilan de ce qu’il y avait à corriger. Ensuite, j’ai fait remarquer que Radio-Canada existait depuis 62 ans, mais qu’elle ne s’était jamais dotée d’une politique linguistique. J’ai alors dit que j’en ferais une », évoque-t-il.
Ce dernier projet a séduit la direction, qui a nommé M. Bertrand conseiller linguistique quelque temps plus tard. Homme de parole, il a donc entrepris le projet colossal de concevoir la politique linguistique de Radio-Canada. Un projet qui lui a pris près d’un an.
« Au départ, c’était une politique pour la radio, mais ensuite, c’est devenu une politique pour toutes les plateformes de Radio-Canada. J’ai dû l’adapter pour la télévision en 2004, puis pour Internet en 2006. Par contre, on a fait tellement de changements qu’elle est encore en processus d’être révisée aujourd’hui », signale-t-il.
Des accomplissements remarquables
Aujourd’hui, M. Bertrand a délaissé son rôle de traducteur pour se consacrer à la radio et à la télévision. Ses capsules linguistiques quotidiennes sont diffusées partout au Canada, et ont donné lieu à la publication de deux tomes intitulés 400 capsules linguistiques. Il est également l’auteur de Pris au mot, un livre de jeux linguistiques. Son indéniable expertise du français lui a même valu de devenir conseiller auprès de la maison Robert pour les canadianismes et les québécismes. Depuis 2011, il a comme mandat de suggérer l’ajout d’expressions québécoises au dictionnaire.
« Essentiellement, je corrige les définitions qui me sont proposées. Elles ne sont pas toujours justes, parce que les Français ne connaissent pas les réalités d’ici. Je leur donne des explications et des indications quant au niveau de langage des termes proposés. Il est arrivé qu’on me soumette des termes vulgaires, et il a fallu que je rectifie le tir. C’est pour ça qu’ils me consultent, ils ont l’avantage de pouvoir consulter un langagier qui vit au Québec », note-t-il.
Signe que sa carrière est des plus prolifiques, M. Bertrand a reçu en 2017 le Prix Georges-Émile-Lapalme, qui est remis chaque année à une personne qui fait rayonner la langue française de manière exceptionnelle.
« Ça a été une surprise totale. Radio-Canada a décidé de présenter ma candidature, mais au départ, je n’y croyais pas du tout. Quand j’ai remporté le Prix, le Téléjournal a fait un reportage de trois minutes sur ma consécration. C’est un bel hommage, parce que ça représente le travail d’une personne tout au long de sa carrière. Ce genre de prix est extrêmement valorisant et précieux », confie-t-il.
L’homme derrière le sobriquet
De 1998 à 2013, M. Bertrand a présenté une chronique linguistique hebdomadaire à l’émission C’est bien meilleur le matin, animée par René Homier-Roy. C’est dans ce contexte qu’a émergé son célèbre surnom d’ayatollah de la langue.
« Quand je suis allé à la première réunion de production, René Homier-Roy s’est écrié : « Tiens, voilà notre ayatollah ! ». Le lendemain, quand je suis arrivé en studio, je portais un keffieh et une djellaba que j’avais achetés lors d’un précédent voyage en Israël. Évidemment, il a pouffé de rire. À partir de ce moment, c’est devenu sa façon de m’appeler. En fait, pendant mes premières années à l’émission, mon nom n’était presque jamais prononcé, c’était toujours « l’ayatollah ». En même temps, ça se voulait un compliment, puisque c’était pris dans le sens d’autorité suprême. Mais bon, je ne peux pas me plaindre, c’est grâce à ça que je me suis fait connaître. D’une certaine manière, je dois à René Homier-Roy la moitié de ma carrière », conclut-il avec amusement.