La place qu’occupent les technologies et Internet au sein du couple est préoccupante, particulièrement lorsque les comportements entraînent une interaction avec autrui, cachée au partenaire, par le biais notamment d’une webcam. Ces comportements peuvent se présenter par l’intermédiaire des sites de socialisation virtuelle, mais aussi des sites pornographiques. Dans ce contexte, les chercheurs du Laboratoire de psychologie du couple de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) se sont penchés sur la satisfaction conjugale et sexuelle des partenaires, dont un des deux utilise la pornographie.
Consommation de porno : quelques statistiques
Les résultats indiquent que, sur un échantillon de 779 participants âgés en moyenne de 30 ans, 16,3 % visualise de la pornographie plusieurs fois par semaine. De plus, les résultats montrent que les hommes consultent significativement plus ces sites que les femmes. Enfin, certaines femmes ont indiqué que la visualisation de la pornographie par le partenaire constituait une forme d’infidélité (12,1 %).
Cette donnée est particulièrement intéressante, car elle démontre qu’au-delà d’un usage récréatif (75,5 %) utilisé au sein de plusieurs couples (Vaillancourt-Morel et al, 2017), il existe des individus qui ressentent un sentiment de trahison lorsque le partenaire navigue sur ces sites. Ce sont souvent ces couples qui consultent afin de comprendre les motivations du partenaire à regarder de la pornographie, et ce, qu’elle soit récréative ou non.
Porno et (in)satisfaction
L’insatisfaction sexuelle est souvent ce qui est rapportée par les hommes (Morgan, 2011; Schneider, 2000) et les données de l’étude du Laboratoire de psychologie du couple vont aussi dans ce sens. Il est donc possible de penser que ces comportements soient associés à une forte stimulation ou à un assouvissement de leurs pulsions sexuelles, ce qui les amène à trouver leurs activités sexuelles avec leur partenaire moins satisfaisantes ou moins intéressantes.
Il faut noter, dans cette même étude, que la visualisation de pornographie chez les femmes est positivement reliée à leur satisfaction sexuelle. Ce résultat est particulièrement intéressant et montre que les femmes stimulent probablement leur désir sexuel avec la pornographie. Cela concorde avec l’étude d’Emmers-Sommer et al. (2013) stipulant que la pornographie rend peut-être la femme moins inhibée sur le plan sexuel, ce qui peut enrichir ses activités sexuelles avec son partenaire.
Plus encore, la visualisation de pornographie peut, pour certains individus, être une façon d’alimenter les fantaisies sexuelles; de même, elle pourrait avoir des impacts positifs sur la dynamique conjugale et sur la sexualité, lorsque visualisée en couple (Maddox et al., 2011).
Toutefois, que la visualisation de pornographie soit récréative, problématique ou compulsive, il est essentiel de rencontrer un professionnel si celle-ci affecte le ou la partenaire ou nuit à la relation de couple.
Perspectives cliniques
Lorsqu’un couple consulte pour une problématique en lien avec la pornographie, il est primordial d’effectuer une évaluation rigoureuse. Les partenaires doivent être en mesure d’échanger sur les limites de chacun par rapport à la pornographie et sur ce qui représente à leurs yeux une infidélité; dès lors, chacun sera amené à bien définir les règles et à redéfinir l’intimité au sein du couple. Souvent, une telle discussion survient lorsque les comportements sont découverts (ex. : historique sur Google).
Le thérapeute conjugal s’intéressera à la fonction qu’acquiert la pornographie au sein du couple (maintenir une distance, diminuer le sentiment de rejet, soulager des tensions relationnelles, diminuer l’anxiété, pallier à une sexualité insatisfaisante, pour le plaisir, pour la curiosité, etc.). Le thérapeute se penchera aussi sur son effet chez le partenaire qui n’en consomme pas (trahison, insécurité, colère, tristesse, doute de soi, éloignement, perte de confiance envers le partenaire, etc.).
Ainsi, lorsque l’utilisation de la pornographie occupe une place importante au sein du couple et qu’elle n’est pas balisée par des règles claires, il peut se créer une brèche, voire même une rupture dans le lien d’attachement entre les partenaires, ce qui signifie que le sentiment de sécurité au sein de la relation est ébranlé ou brisé. La peur de perdre l’autre, le sentiment d’être indigne de l’amour du conjoint ou la perte de confiance envers lui/elle se retrouve au cœur de ce processus de régulation de l’intimité. La pornographie fait alors partie du cycle inadapté du couple et peut aussi engendrer une blessure dans le lien d’attachement. Elle maintient une distance entre les partenaires et ceci contribue à augmenter le sentiment d’insécurité au sein de la relation.
Le thérapeute souhaite alors permettre au couple de s’exprimer sur les impacts de cette consommation. Par exemple : « Je ne me sens pas importante quand tu regardes ces sites, ça me rend triste, je me sens trahie, je ne me sens pas aimée, etc. ». La personne qui consomme de la pornographie est supportée par le thérapeute pour écouter et comprendre les sentiments de son partenaire dans un contexte d’attachement, c’est-à-dire que la souffrance vécue est le reflet de son amour, mais surtout une façon d’exprimer à quel point il y a une peur de perdre l’autre (Reid & Woolley, 2006).
Le thérapeute explore aussi ce que peut ressentir la personne qui consomme de la pornographie : « Je me sens si loin de toi et seul, je ne me sens pas désiré, je suis insatisfait sur le plan sexuel, je ne sais plus comment t’approcher, je crains que tu me repousses, j’ai honte, etc. ». Dans un contexte d’attachement, le thérapeute recadre l’utilisation de la pornographie comme une façon d’exprimer son besoin d’aimer et d’être aimé. La pornographie devient un refuge pour combler un problème ou un vide émotionnel. Le rôle du thérapeute est donc de permettre des échanges plus adaptés sur les besoins émotionnels, sexuels et intimes primaires de chacun des partenaires, et ce, dans un contexte de sécurité.
En terminant, il va sans dire que le processus ne se résume pas qu’à ce qui est décrit dans cet article. Selon les impacts et la fonction de la consommation de la pornographie, le processus thérapeutique auprès d’un couple vivant ce type de problématique peut s’avérer complexe (ex. : abus sexuel en enfance ou expériences traumatiques complexes). Or, l’engagement des deux personnes est indispensable pour réparer les blessures ainsi créées dans le lien d’attachement et aider chaque personne à mieux comprendre le sens de la consommation de la pornographie au sein de leur dynamique conjugale.
Références
Emmers-Sommer, T., Hertlein, K., & Kennedy, A. (2013). Pornography use and attitudes: An examination of relational and sexual openness variables between and within gender. Marriage & Family Review, 49, 349-365. doi: 10.1080/01494929.2012.762449
Morgan, E. M. (2011). Associations between young adults’ use of sexually explicit materials and their sexual preferences, behaviors, and satisfaction. Journal of Sex Research, 48, 520-530. doi: 10.1080/00224499.2010.543960
Reid, R. C., & Woolley, S. R. (2006). Using Emotionally Focused Therapy for Couples to Resolve Attachment Ruptures Created by Hypersexual Behavior. Sexual Addiction & Compulsivity, 13(2-3), 219-239. doi:10.1080/10720160600870786
Schneider, J. P. (2000). Effects of cybersex addiction on the family: Results of a survey. Sexual Addiction and Compulsivity, 7, 31-58.
Vaillancourt-Morel, M., Blais-Lecours, S., Labadie, C., Bergeron, S., Sabourin, S., & Godbout, N. (2017). Profiles of cyberpornography use and sexual well-being in adults. Journal Of Sexual Medicine, 14(1), 78-85. doi:10.1016/j.jsxm.2016.10.01.