J’exerce la thérapie conjugale depuis plus de 12 années et dans le cadre de cette chronique, j’aimerais partager mon avis sur les croyances gravitant autour des attentes face à la thérapie de couple. Il n’est pas rare que les gens arrivent à mon bureau en exprimant que la thérapie est un peu le dernier recours. Certains ont la croyance que celle-ci pourrait même sauver leur couple.
Derrière cette croyance cohabite l’espoir, mais aussi une peur de prendre conscience qu’un ou les deux partenaires ne souhaitent plus avancer ensemble ou dans la même direction. Même si l’efficacité de la thérapie conjugale est déjà bien établie (Shadish et Baldwin, 2003), il est important de clarifier le mandat de la thérapie. Par exemple, est-ce que le couple souhaite améliorer la relation, résoudre une ambivalence quant au désir de la poursuivre ou non, ou bien il souhaite se séparer (Tremblay et al, 2008). Enfin, il n’en demeure pas moins qu’au-delà du mandat, des éléments centraux doivent être considérés lors du processus thérapeutique.
L’engagement émotionnel des deux partenaires
Il est important, lors d’une demande d’aide en thérapie conjugale, que les deux partenaires soient présents et investis dans la démarche de consultation de couple. Si l’un des deux souhaite plus ou moins y être, il y aura tôt ou tard une entrave dans le processus thérapeutique. Par ailleurs, comme thérapeute, il devient pertinent d’explorer cette ambivalence à l’égard de la thérapie (malaise à consulter, peur de réaliser que l’un des partenaires ne souhaite plus poursuivre, ou même de croire que la thérapie c’est pour les autres et qu’ils peuvent s’en sortir sans cela, etc.). Enfin, est-ce que le partenaire se présente uniquement pour faire plaisir à l’autre ? Est-ce que le partenaire qui n’est pas engagé dans le processus observe l’impact des difficultés conjugales sur la qualité de sa relation ? Est-ce qu’il a déjà eu l’idée de mettre un terme à sa relation ? Ce sont toutes des questions qui peuvent être explorées afin de démystifier cette ambivalence.
Il arrive aussi qu’un des deux partenaires arrive désengagés à la suite d’un problème ou une crise qui a provoqué une « blessure » quant au lien d’attachement, par exemple une infidélité. Or, il est tout à fait normal d’arriver en thérapie avec une certaine méfiance et du détachement. Au fil des séances, on peut observer un désir de réengagement si la blessure est abordée et qu’un processus de pardon est amorcé (voir ma chronique sur l’infidélité). Même si les études démontrent que la thérapie conjugale est efficace dans le cas d’infidélité (Marin et al., 2014), il n’en demeure pas moins que plusieurs couples décident de mettre un terme à la relation.
Enfin, comme thérapeute, il est primordial de clarifier la qualité de cet engagement de la part de chacun des membres du couple. Les études montrent aussi que la capacité du couple à s’unir avec l’intervenant afin de former une alliance basée sur la collaboration est un élément clé du succès thérapeutique. Donc, imaginez-vous un instant consulter un thérapeute, sans avoir l’intérêt ni la motivation de le faire. Seriez-vous porté à vous censurer ? À tourner autour du pot ou peut-être même à annuler certaines séances ? En somme, il est très difficile de se révéler dans un contexte où l’on ne se sent pas en sécurité, et ce, que ce soit à la maison ou en thérapie.
Le moment où le couple choisit de consulter
Depuis quand le couple observe-t-il que ça va moins bien ? Un an, cinq ans, dix ans après l’arrivée des enfants, au moment de la retraite, à la suite d’un événement traumatique, etc. De plus, comment la dynamique conjugale a-t-elle évolué au fils de ces années : des critiques mutuelles, des reproches, du mépris, un détachement, etc. Bref, le couple arrive-t-il avec un niveau de détresse élevé ? Avec la présence simultanée de problèmes qui accompagnent les difficultés de couple (par exemple, anxiété, dépression, abus de substance, maladie chronique) ?
Plusieurs couples consultent au moment où ça va mal depuis tellement d’années et surtout avec l’espoir que la thérapie sauvera leur couple. L’observation que j’ai pu faire au fils de mes années de pratiques est la suivante : plus les couples consultent rapidement après l’apparition des problèmes, plus il y a de chance que la thérapie soit efficace, et ce, si les deux partenaires ont vraiment le désir de poursuivre ensemble.
Par rapport à la présence simultanée de problèmes que l’on nomme comorbidité, les études démontrent qu’il peut être indiqué de traiter le couple en présence de certaines autres problématiques, encore faut-il que le traitement soit bien adapté (Beach et Wishman, 2012). Les protocoles d’intervention ne sont pas les mêmes si l’on traite un abus de substance, de la violence conjugale ou une dépression. D’où l’importance que les thérapeutes conjugaux aient recourt à des formations rigoureuses pour le traitement des différentes problématiques de couples et de comorbidité associés.
Enfin, dans le cas où la dynamique du couple a créé trop de préjudice, la thérapie peut s’avérer utile et aidante pour aborder et concrétiser les étapes de séparation. Il se peut que la démarche permette de donner un sens à une rupture, et ce, même s’il n’y a pas un tel mandat en début de séance. Certains couples, même si cela s’avère extrêmement difficile, prennent conscience que le désir de poursuivre est trop douloureux ou que le sentiment amoureux n’est plus présent et ne pourra pas renaître. Or, la thérapie peut devenir un lieu sécurisant pour le couple afin d’échanger sur la compréhension de leur décision de se séparer. Et à partir de ce moment, le mandat de séparation est soulevé, permettant ainsi d’accompagner le couple dans ce processus et surtout que la séparation soit faite avec le plus de respect, d’équité et de compréhension possible, particulièrement lorsque des enfants sont impliqués (Côté, 2008).
Références
Beach, S. R. H., & Whisman, M. A. (2012). Affective disorders. Journal of Marital and Family Therapy, 38(1), 201–219. https://doi-org.biblioproxy.uqtr.ca/10.1111/j.1752-0606.2011.00243.x
Côté, G. (2008). La médiation familiale. Dans J.Wright, Y. Lussier et S.Sabourin (dir.), Manuel clinique des psychothérapies de couple (p.697-730). Québec : Presses de l’Univsersité du Québec.
Marín, R. A., Christensen, A., & Atkins, D. C. (2014). Infidelity and behavioral couple therapy: Relationship outcomes over 5 years following therapy. Couple and Family Psychology: Research and Practice, 3(1), 1–12. https://doi-org.biblioproxy.uqtr.ca/10.1037/cfp0000012
Shadish, W. R., & Baldwin, S. A. (2003). Meta-analysis of MFT interventions. Journal of Marital and Family Therapy, 29(4), 547–570. https://doi-org.biblioproxy.uqtr.ca/10.1111/j.1752-0606.2003.tb01694.x
Tremblay, N., Wright, J., Mamodhoussen, S., McDuff, P., & Côté, G. (2008). Correlates of attributions of causality and responsibility for couples in consultation for marital therapy. Canadian Journal of Behavioural Science, 40(3), 162–170. https://doi-org.biblioproxy.uqtr.ca/10.1037/0008-400X.40.3.162