Dès le début des interventions quotidiennes télévisées du premier ministre François Legault, on a assisté à un phénomène peu banal : les gens ont répondu positivement et en masse à l’invitation d’aller marcher dans leur quartier pour lutter contre le spleen de la distanciation sociale. Comme l’auteur de ces lignes, vous avez peut-être aussi découvert dans cette augmentation de l’achalandage quotidien des voisins dont vous ne soupçonniez jusque-là l’existence. Ce phénomène n’est pas passé inaperçu aux yeux de François Trudeau, professeur en physiologie de l’exercice et du sport au Département des sciences de l’activité physique à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Pour ce spécialiste du transport actif, la situation actuelle prend des allures de laboratoire à ciel ouvert et génère de nombreuses hypothèses de recherche. « Le message de notre premier ministre Legault et du docteur Horacio Arruda a probablement eu pour effet de faire bouger les gens. Un message incitant les citoyens à aller prendre l’air pour aussi prendre soin de leur moral dans les circonstances. »
Premier constat pour François Trudeau : « Le timing était parfait. Le printemps est là, le soleil est de plus en plus présent, nous avons des conditions favorables pour mettre les gens en action. Le scénario aurait été probablement différent à la fin de l’automne ou en plein milieu de l’hiver », fait-il remarquer.
On a du temps
Et puis il y a le temps ! Le manque de temps est la raison la plus souvent invoquée pour expliquer l’écart entre notre activité physique actuelle et celle que l’on souhaiterait. Soudainement, une bonne proportion de la population a plus de temps. On peut sortir marcher ou encore courir, tout en gardant ses distances, et fraterniser avec nos voisins oubliés dans le tourbillon quotidien.
« J’ai été agréablement surpris de retrouver plusieurs voisins lors de mes sorties et de voir plusieurs enfants rouler sur leur vélo. Les passants prennent aussi le temps de se saluer malgré les deux mètres prescrits », ajoute le professeur Trudeau. En ces temps plus difficiles, il y a peut-être un côté social que nous allons redécouvrir.
Un nouveau « médicament » ?
Est-ce que cette réponse à une directive de santé publique dans une situation extraordinaire pourra initier une augmentation du niveau de pratique de l’activité physique de la population québécoise et en particulier des plus sédentaires ? « C’est certainement une hypothèse de recherche. Les gens vont peut-être découvrir ce « médicament » vieux comme le monde, et intégrer cette nouvelle habitude une fois que la pandémie sera chose du passé », commente le professeur Trudeau.
Ce dernier collabore d’ailleurs avec des collègues à l’international, notamment en France, afin de comparer les impacts des contraintes du confinement et de la distanciation physique sur l’activité physique et la santé et les différentes façons de les baliser selon les pays. « Le recours aux séances d’exercice par l’intermédiaire des médias sociaux a aussi connu un essor considérable et pourrait donner lieu à des développements intéressants, notamment dans le domaine de la téléréadaptation pour les patients présentant des problèmes de santé », fait remarquer le professeur du Département des sciences de l’activité physique.
Manque d’espaces ?
Par contre, cet afflux de citoyens en bordure des rues, sinon dans la rue, met en relief certains problèmes de densité. Dans les grandes villes, les espaces disponibles ne permettent pas la distanciation exigée. Cela ne favorise pas les déplacements sécuritaires et efficaces à vélo ou à la marche sur des trottoirs trop étroits. Certaines villes n’ont tout simplement pas assez d’espace pour les marcheurs, les coureurs et les cyclistes à la fois.
Voilà le frein majeur qui atténue l’optimisme de François Trudeau sur le maintien des nouvelles habitudes acquises en temps de COVID-19. « Afin de répondre à cet afflux de personnes, certaines villes comme Winnipeg ou Calgary ont désigné des rues pour le transport actif. D’autant plus que la circulation automobile a diminué considérablement. Par contre, d’autres villes ont à titre d’exemple préféré fixer des heures où certaines activités comme la course à pied ne sont pas permises », explique-t-il.
Transport actif
« Nous avons un problème d’infrastructures dans beaucoup de villes au Québec. Il y a un manque flagrant d’espaces restreints aux déplacements actifs et d’espaces naturels pour l’activité physique. Par exemple pour les parcs, il serait intéressant de comparer Trois-Rivières à des villes de dimensions semblables comme Sherbrooke, Gatineau ou Rimouski, pour voir si nous sommes en déficit en termes de parcs accessibles gratuits qui ne nécessitent pas de prendre la voiture », note le professeur Trudeau.
Comme beaucoup de chercheurs, François Trudeau ne peut s’empêcher de réfléchir déjà à l’après COVID-19. « Il est clair que lorsqu’on parle de transport intelligent, le transport actif devrait être priorisé quand cela est possible, puisque son impact positif sur la santé est bien documenté, tout diminuant les impacts négatifs sur l’environnement. Les espaces naturels s’avèrent aussi être un besoin essentiel pour la population. »
Lectures proposées par le professeur François Trudeau
The Power of Parks in a Pandemic