En près de quatre ans au pouvoir, Donald Trump a été un véritable spectacle pyrotechnique. Scandales, insultes et déclarations à l’emporte-pièce ont été son pain quotidien. À l’approche du dernier droit des élections américaines, le président sortant et son vis-à-vis, l’ancien vice-président Joe Biden, doivent convaincre des électeurs tout aussi enflammés de leur consentir leur vote.
Aux États-Unis, la présente campagne électorale est pour le moins… tendue. Pour Vincent Raynauld, professeur affilié au Département de lettres et communication sociale de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), cette frénésie est le symptôme d’un changement important qui s’est opéré depuis l’élection de Trump, en 2016.
« Au sein de la société en général, il y a une polarisation importante sur le plan de l’identité politique. Républicains et démocrates se retrouvent ainsi aux antipodes, sur la quasi-totalité des enjeux. Habituellement, le président américain gouverne de façon à minimiser les différences entre les deux camps. Trump, lui, les exacerbe. C’est la première fois qu’on voit un président américain ouvertement diviser son peuple », indique M. Raynauld, qui est aussi professeur agrégé au Département de communication du Emerson College, à Boston.
Le professeur remarque également que le président Trump a un talent certain pour faire basculer les questions sociales dans la partisanerie.
« Certains enjeux traditionnellement apolitiques, comme les décisions de santé publique, sont devenus politiques. Notre opinion sur le port du masque, la distanciation sociale, et la fermeture des écoles et des commerces indique si l’on est républicain ou démocrate ! Ces décisions divisent la population, alors qu’elles devraient être guidées exclusivement par les autorités en matière de santé publique », croit-il.
Éteindre un feu… avec du feu
Si les politiciens évitent habituellement de faire des remous, Donald Trump, lui, semble se complaire dans un environnement médiatique instable. Il se pourrait même que le président tire profit d’un état de perpétuelle gestion de crises.
« Les exemples sont légion. En 2018, il a été pris à payer une actrice de films pornographiques pour qu’elle se taise sur la relation qu’ils ont entretenue. Sinon, il y a quelques semaines, le président a refusé de condamner des suprémacistes blancs. Aujourd’hui, pourtant, on n’en parle même plus ! Comme Trump génère constamment des crises, les gens ont tendance à oublier la précédente pour passer à la suivante », résume M. Raynauld.
L’attitude cavalière du président fait aussi en sorte que ses adversaires démocrates sont incapables de fixer l’agenda. Grâce à ses déclarations-chocs, Trump peut ainsi dicter comme il le veut le thème de la journée de campagne.
« On peut ne pas être d’accord avec les stratégies politiques de Trump. Mais la grande force de sa campagne, c’est d’être capable de ramener systématiquement certains enjeux à l’ordre du jour, et de les cadrer de manière qui lui est favorable. Si l’on regarde son approche strictement en termes de communication politique, il est excellent. Il réussit à atteindre ses objectifs. Tous les stratèges voudraient faire ce que Trump peut faire ! Évidemment, la valeur politique d’une telle stratégie est discutable », déplore Mireille Lalancette, professeure au Département de lettres et communication sociale.
Un pro de la démolition
On ne compte plus le nombre de personnes que Donald Trump a insulté au cours de son mandat. Or, derrière l’attitude parfois grossière du président, on peut déceler une réelle stratégie de communication politique.
« Trump est un spécialiste de l’attaque. Lors de sa première campagne électorale, son arme favorite était la disqualification de ses adversaires. Or, même après avoir accédé à la Maison-Blanche, il n’a jamais changé son approche », constate Mme Lalancette.
« Plusieurs études scientifiques ont démontré que la campagne négative fonctionnait auprès des électeurs. Toutefois, lorsqu’on pousse la négativité trop loin, les gens finissent par s’en lasser. Actuellement, Trump est en train de flirter avec le seuil de tolérance de la population, et il risque de s’aventurer dans une zone où sa négativité va lui nuire », complète M. Raynauld.
Mme Lalancette rappelle d’ailleurs que cette situation avait été vécue par le Parti conservateur du Canada lors des élections de 2015, alors qu’ils avaient tenté de discréditer Justin Trudeau.
« Cette stratégie s’est finalement retournée contre eux, car beaucoup de gens souhaitaient une politique faite différemment. En optant pour une campagne positive, qui vantait son parti au lieu d’attaquer les autres, Trudeau incarnait cette différence », estime Mme Lalancette.
La professeure demeure cependant prudente en faisant ce parallèle. Selon elle, le candidat démocrate Joe Biden est un politicien plus traditionnel, qui n’inspire pas autant les électeurs lorsqu’il est question de changement.
« Il s’est d’ailleurs pris au jeu du président lors du premier débat télévisé, en adoptant une attitude agressive qui ne lui sied pas. Cela contribue à alimenter le cynisme et la désaffection envers la politique », évoque-t-elle.
Un « mal » nécessaire
Il semble donc que pour beaucoup de gens, Joe Biden ne soit pas le candidat idéal. Cependant, les professeurs remarquent que bien des électeurs, même républicains, préfèrent l’appuyer plutôt que laisser le champ libre à Donald Trump.
« Pour que les démocrates gagnent, les républicains doivent soit voter pour Biden, soit s’abstenir de voter. Le candidat démocrate doit donc aller chercher les républicains modérés et les indépendants qui ne font pas partie du bloc d’électeurs de Trump. Heureusement pour lui, certains membres du parti adverse, comme George W. Bush, ont mentionné qu’ils ne voteraient pas pour Donald Trump », souligne M. Raynauld.
« Biden est un homme des régions, et il est proche du segment ouvrier de la population. C’est le genre de candidat que les républicains peuvent appuyer, même si cela les fait grincer des dents. C’est ce que les démocrates espèrent : ils ne veulent pas nécessairement un appui enthousiaste, ils veulent tout simplement un appui », conclut-il.