Le sexisme, le racisme et le capacitisme sont des phénomènes structurels qui portent préjudice aux individus en position minoritaire. Puisque ces phénomènes sont encore présents aujourd’hui dans les milieux de travail, d’étude, de santé et de services sociaux, la professeure Naïma Hamrouni, du Département de philosophie et des arts de l’UQTR, compte bien les étudier et proposer des pistes de solutions, elle qui vient tout juste d’obtenir la prestigieuse Chaire de recherche du Canada en éthique féministe sur la vulnérabilité, les inégalités relationnelles et les injustices structurelles.
Mme Hamrouni consacrera les cinq prochaines années à l’analyse conceptuelle des injustices structurelles, à la théorisation des différents visages sous lesquels elle se manifeste et à l’analyse de son rapport aux formes d’inégalités dites relationnelles (qui affectent la qualité des relations entre les groupes sociaux). En collaboration avec des chercheuses et des chercheurs issus de disciplines variées, elle développera une analyse de l’ancrage historique, institutionnel et culturel de ces injustices dans les milieux de l’éducation supérieure, des services de la santé et des services sociaux. Elle travaillera également à la formulation de recommandations pratiques visant à transformer ces espaces afin qu’ils soient plus radicalement inclusifs. Misant sur les effets porteurs de l’interdisciplinarité, les recherches puiseront dans les théories de la justice féministe, les pédagogies féministes et antiracistes, la recherche participative, la critical race theory, la justice réparatrice et mettront à profit les découvertes les plus récentes de neuroscience, de psychologie sociale et de psychologie des traumas qui traitent des rapports et dynamiques de pouvoir intergroupes.
Un monde à changer
Par cette recherche, Mme Hamrouni espère démontrer l’importance de ne pas se limiter à une perspective de justice qui se contenterait de prôner l’augmentation de la représentation des minorités dans différentes sphères de la vie sociale, économique et politique, ou à répartir plus équitablement les revenus et les richesses entre majorités et minorités. Les travaux de la Chaire visent à attirer l’attention sur des phénomènes d’injustices qui passent encore trop souvent sous le radar et qui restent sans réponses dans les théories de la justice sociale, souvent focalisées sur la redistribution des positions sociales et des richesses.
« On ne doit pas se cantonner à l’objectif d’ajouter de la diversité à des institutions et à un univers social qui seraient laissés inchangés. Il nous faut faire face au passé avec lucidité, réfléchir ensemble à la réparation des structures injustes héritées de ce passé, et être prêts à revisiter, à égalité, l’organisation de nos principales institutions, leurs règles de fonctionnement et les valeurs qui les guident », explique Naïma Hamrouni.
Si l’expression « d’injustice systémique et structurelle » est passée dans le langage courant, il reste encore du travail analytique à faire pour clarifier notre compréhension du fonctionnement des formes d’injustice qui sont structurelles et pour penser nos responsabilités morales et politiques face à la persistance de ces injustices pour lesquelles on ne peut identifier un coupable direct.
« Un travail pédagogique doit aussi être réalisé pour que l’usage qui est fait de ces notions complexes, dans les grands médias par exemple, soit fidèle au sens que lui accordent les principales et principaux concernés », ajoute la professeure, en spécifiant que « la Chaire s’est engagée à développer une plateforme visant la démocratisation de ces concepts importants, et la préparation d’ateliers et conférences destinés à un public plus large ».
Projet transdisciplinaire et unique
L’un des aspects novateurs de cette chaire est l’approche transdisciplinaire qui caractérise sa programmation de recherche. En effet, elle ouvre la porte à des collaborations avec des collègues de disciplines variées comme la sociologie, la psychologie, la neuroscience, les sciences de la gestion et l’ergothérapie. Durant ses travaux, Mme Hamrouni pourra notamment compter sur la collaboration du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et la famille (CEIDEF) à l’UQTR, le Centre de recherche en éthique (logé à l’UdeM), où elle est coresponsable du « thème phare en éthique féministe », le Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (logé à l’UQAM), le Réseau québécois en études féministes, en plus d’autres centres internationaux, dont la Chaire d’éthique économique et sociale en Belgique, où elle a été formée, et The Vulnerability and the Human Condition Initiative, basé à l’université Emory, à Atlanta en Géorgie. Finalement, elle comptera sur la participation de nombreux étudiants des cycles supérieurs, elle qui dirige une quinzaine d’étudiants à son département, dont plusieurs se joindront aux activités de la Chaire, et la participation de la chercheuse postdoctorale qu’elle supervise, Megha Sharma Sehdev, Ph. D. en anthropologie sociale de John Hopkins.
Ayant aussi collaboré avec le ministère de la Santé et des Services sociaux et le Curateur public du Québec au cours des deux dernières années (elle a rédigé le long rapport du Groupe d’experts sur l’inaptitude et l’aide médicale à mourir), et étant membre de la Commission de l’éthique en sciences et en technologie qui relève du Ministère de l’économie, il est possible qu’elle cherche à poursuivre des collaborations étroites avec les décideurs publics.
« À la fin, c’est au gouvernement que les décisions sont prises et en assemblée que les lois sont votées. Le travail que nous réalisons en philosophie participe à la clarification des principaux enjeux auxquels nous faisons face en société. Ce travail nous éclaire quant aux principes qui devraient guider les lois et les politiques qui régulent nos institutions et impactent nos vies, et il permet de développer des argumentaires bien informés, fondés et cohérents. Nous n’écartons aucune collaboration possible qui contribuerait au progrès de notre société sur le plan de l’égalité et de l’inclusion », ajoute-t-elle.
Le Programme des chaires de recherche du Canada a octroyé un soutien financier de 500 000 $ sur cinq ans pour la mise sur pied de cette Chaire. Le programme soutient les chercheurs dans l’objectif d’atteindre l’excellence en recherche dans les domaines des sciences naturelles, du génie, des sciences de la santé et des sciences humaines.