Au cours des prochaines années, deux nouvelles stations de recherche permanentes verront le jour dans le Haut-Arctique canadien, dans les villages inuits de Pond Inlet et de Qikiqtarjuaq, au Nunavut. Le gouvernement fédéral vient de confirmer le financement de cet important projet interuniversitaire, auquel s’est jointe l’UQTR. Cette dernière pourra ainsi offrir à plusieurs de ses chercheurs un accès privilégié à ces nouvelles installations nordiques, pour mener des travaux notamment sur les écosystèmes terrestres et aquatiques.
« Il est actuellement difficile et coûteux d’effectuer des recherches à partir de l’île de Baffin, où seront situées ces nouvelles stations. Le climat est rigoureux, les logements sont peu disponibles, les frais de transport demeurent élevés et nous n’avons pas les installations requises pour traiter ou conserver nos échantillons. Pourtant, cette zone de l’archipel arctique peut nous fournir des renseignements de premier ordre sur les impacts des changements climatiques. Grâce à de nouvelles installations de recherche bien équipées et fonctionnelles l’année durant, accessibles à meilleur coût, nous pourrons certainement accroître notre présence scientifique dans cette région et faire progresser nos connaissances », de commenter la professeure en sciences de l’environnement Esther Lévesque de l’UQTR, qui étudie les milieux nordiques depuis la fin des années 90.
Un grand potentiel de recherche et de collaboration
Opérationnelles d’ici 2024, les deux nouvelles stations seront dotées de laboratoires. L’une d’elles sera située à l’extrémité sud de l’île de Baffin, dans la communauté de Qikiqtarjuaq. Ce site s’avère tout particulièrement intéressant pour l’étude des processus marins, en raison des grandes profondeurs océaniques accessibles tout près de la côte. L’autre station – localisée à Pond Inlet dans l’extrême nord de l’île de Baffin – sera davantage dédiée aux recherches terrestres et côtières et donnera accès à une riche diversité d’écosystèmes arctiques.
Les futures stations offriront le grand avantage de permettre la tenue d’activités de recherche 12 mois par année. Actuellement, les quelques travaux scientifiques effectués dans la région se limitent surtout à la saison estivale. Les chercheurs se trouvent ainsi privés de données de l’automne au printemps, alors qu’il s’agit d’une période fort importante pour l’étude des écosystèmes et du meilleur moment pour organiser des travaux de co-construction et de partage des connaissances dans les communautés du Nord.
Il est prévu que les deux stations de recherche soient gérées en partenariat avec la population locale, assurant ainsi une meilleure adéquation des travaux avec les préoccupations des Inuits. Les habitants de l’île de Baffin doivent faire face à des défis environnementaux et socioéconomiques majeurs, dont les chercheurs pourront mieux tenir compte grâce aux stations localisées au sein des villages.
Financement et partenaires
Les deux stations seront aménagées au coût de 17,5 millions de dollars. La Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) finance les infrastructures, appuyée par le gouvernement du Québec et d’autres partenaires. Trois universités sont impliquées dans ce projet. L’Université Laval a reçu l’ensemble du financement gouvernemental pour assurer la construction et la gestion des installations. De leur côté, l’UQTR et l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) sont venues bonifier le projet en lui dédiant certains fonds déjà obtenus de la FCI et du gouvernement du Québec, pour l’innovation en recherche. La participation de l’UQTR se chiffre ainsi à 1,07 million de dollars. Cela lui garantira notamment un tarif préférentiel pour l’utilisation des nouvelles infrastructures. Ajoutons que la Qikiqtani Inuit Association (QIA) est également partie prenante de ce grand projet de stations scientifiques.
Plusieurs projets de recherche pour l’UQTR
De plus en plus de chercheurs de l’université trifluvienne s’intéressent au Grand Nord. Les deux nouvelles stations de l’île de Baffin ouvriront à ces professeurs et étudiants de nouvelles possibilités et perspectives de recherche.
« Les sujets sur lesquels se pencheront les chercheurs de l’UQTR dans cette région du Haut-Arctique seront nombreux : faune et flore terrestres et aquatiques, pergélisol, hydrologie, stockage de carbone, fonctionnement des écosystèmes, transformations de la société, et plus encore. Avec bien sûr, en toile de fond, les changements climatiques », rapporte Esther Lévesque.
Parmi les professeurs en sciences de l’environnement de l’UQTR qui prévoient profiter des nouvelles stations figure le professeur Christophe Kinnard. Il étudiera plus particulièrement l’impact des changements climatiques sur le cycle de l’eau des régions froides. De son côté, le professeur Vincent Maire s’intéressera à la dynamique du carbone et à l’effet du pH sur la photosynthèse. Son collègue Alexandre Roy mènera des travaux sur la télédétection de neige, alors que le professeur François Guillemette centrera ses efforts sur la dégradation du pergélisol et la qualité de l’eau liée aux activités humaines. Pour sa part, la professeure Esther Lévesque poursuivra ses recherches sur la dynamique de la végétation arctique, son sujet de prédilection depuis deux décennies.
D’autres acteurs de l’UQTR souhaitent aussi explorer différentes voies de recherche dans le Haut-Arctique. Le professeur Degbedji Tagnon Missihoun (chimie, biochimie et physique) prévoit étudier l’adaptation des microalgues aux basses températures. La professeure en management Cécile Fonrouge projette d’évaluer les impacts socioéconomiques du réchauffement climatique chez les communautés locales, alors que le professeur François de Grandpré (études en loisir, culture et tourisme) s’intéresse au tourisme scientifique.
« Des chercheurs de l’UQTR œuvrant dans les secteurs de l’efficacité énergétique, de la santé ou de l’éducation pourraient aussi vouloir profiter de ces deux nouvelles stations, qui leur offriront un accès exceptionnel à la nordicité et aux communautés inuites. Ces nouvelles infrastructures ouvrent la porte à tout un éventail de possibilités », se réjouit la professeure Lévesque.
Améliorer la recherche sur les écosystèmes arctiques : une nécessité
Les changements climatiques se font particulièrement sentir en Arctique. Les températures de l’air et de l’océan y ont augmenté deux fois plus vite qu’ailleurs. L’étendue de la banquise (mesurée en septembre) a diminué de plus de 40 % depuis 1979. Et cette banquise pourrait bien disparaître d’ici la fin du présent siècle. Le pergélisol a entamé un dégel progressif, la neige est moins présente et la couverture végétale augmente. La migration et la reproduction des espèces arctiques sont également perturbées. L’Arctique montre aussi un développement économique accéléré et une profonde évolution sociétale. Les communautés locales font face à des défis sans précédent.
Ces constats illustrent la nécessité pressante d’améliorer les connaissances sur la nordicité ainsi que la compréhension des processus en cours dans les écosystèmes arctiques. Les deux nouvelles stations de recherche permanentes sur l’île de Baffin contribueront à l’atteinte de ces objectifs, dans l’intérêt de la population locale et de l’ensemble de la planète.