Dans la foulée de la mobilisation mondiale pour le climat, l’occasion était trop belle pour proposer quelques « arrêts sur images » et esquisser à grands traits certains souvenirs de l’évolution d’un secteur qui fait partie de l’UQTR depuis son ouverture : l’écologie et les sciences de l’environnement.
Dans le rapport d’activités de l’UQTR de l’année 1997-1998, le recteur Jacques A. Plamondon se réjouit du fait que l’Agence canadienne de développement international se soit montrée « hautement satisfaite des réalisations du projet sur la dengue hémorragique au Vietnam, lequel a été complété en janvier 1998 après un parcours de cinq ans ».
Petite chronologie d’un groupe de recherche qui a marqué l’histoire de l’UQTR
C’est lors de la 18e réunion de la Commission des études, en novembre 1972, que sont accrédités les premiers groupes de recherche de l’UQTR. Voici la résolution accréditant le Groupe de recherche sur la démoustication :
CONSIDÉRANT l’étude effectuée par le Comité de la Recherche sur l’aspect qualitatif du dossier de présentation ;
CONSIDÉRANT la recommandation favorable du Comité de la Recherche en vue de l’accréditation d’un groupe de recherche sur la démoustication ;
CONSIDÉRANT l’étude effectuée par la Sous-commission des études avancées et de la recherche sur l’opportunité de création du groupe ;
CONSIDÉRANT la recommandation favorable de la Sous-commission des études avancées et de la recherche en vue de l’accréditation du groupe de recherche sur la démoustication ;
SUR MOTION DUMENT APPROUVÉE, IL EST RÉSOLU d’accréditer le groupe de recherche sur la démoustication (CE72181602).
En 1977, une demande de changement d’appellation pour « Groupe de recherche sur les insectes piqueurs » est autorisée par les instances académiques. L’accréditation du GRIP sera renouvelée constamment jusqu’en mai 1993, où le GRIP change de statut en celui de Laboratoire départemental de recherche sur les arthropodes piqueurs. En 1993, le GRIP était actif depuis plus de 20 ans et Réseau : le magazine de l’Université du Québec, a consacré son dossier du mois de mai à celui-ci, à son histoire, à ses objectifs de recherche et ses contributions internationales. Ce dossier est volumineux et nous vous proposons ici des morceaux choisis. Prévoir plus de 10 minutes pour une lecture complète.
Ce sujet qui pique l’intérêt est ô ! combien actuel plus de 25 ans après la parution de cet article : un printemps québécois marqué par des inondations historiques, un été particulièrement « maringouineux ». Dans un contexte où pas une semaine ne passe sans qu’un média ne ramène la maladie de Lyme dans le discours et où les changements climatiques causent à répétition des catastrophes naturelles dont on imagine les conséquences sur la santé publique, cette longue page d’histoire uqutérienne méritait qu’on en dresse au moins les grandes lignes, à défaut d’en tracer tous les contours qu’on imagine passionnants. Pour tous les amants de nature (et de lecture !), les amateurs d’insectes et autres randonneurs aussi émerveillés que résilients face à ces nuées qui ont tendance à vouloir entrer dans notre bulle, et plus encore.
Voici l’article tiré du magazine Réseau :
Les insectes piqueurs
Le Groupe de recherche sur les insectes piqueurs (GRIP) de l’UQTR fête, cette année, son 21e anniversaire. Le dynamisme de ce groupe ne fait aucun doute : ses multiples recherches, tant au Québec qu’à l’étranger, en font foi. Il fait l’objet de notre dossier du mois. Pour plusieurs professeurs et chercheurs, la création du réseau de l’Université du Québec donnait l’occasion de relever de nouveaux défis tant dans le domaine de l’enseignement que dans celui de la recherche. Des sujets et même des secteurs de recherche pouvaient être envisagés à travers les réflexions et discussions engagées dès le début de l’Université ; ainsi il s’avérait opportun d’innover dans les différents secteurs d’intervention universitaire, d’être originaux dans les approches et de s’affirmer tout en répondant à différents besoins de la société.
C’est dans ce contexte qu’en 1972 a été créé le GRIP par deux scientifiques de l’UQTR, Antoine Aubin et Jean-Pierre Bourassa ; ceux-ci ont alors décidé de s’intéresser à une famille d’insectes vulnérants pour les activités humaines et les vertébrés en général, les Culicidae ou moustiques, famille alors mal connue aux points de vue biologique, écologique et épidémiologique. Déjà, certains travaux d’inventaire avaient été réalisés au Québec dans les années 40 et 50. Des 19 espèces de moustiques alors recensées, les chercheurs du GRIP devaient, par leurs travaux sur l’ensemble du territoire québécois, faire passer ce chiffre à 53 espèces.
L’importance de la nuisance occasionnée par les insectes piqueurs, particulièrement en milieu forestier, a rapidement amené les membres du GRIP à étendre leurs préoccupations à deux autres familles d’insectes diptères, les Simuliidae ou mouches noires (70 espèces) vivant en eau courante et les Tabanidae ou mouches à chevreuils (74 espèces) retrouvées dans divers milieux humides, dont les tourbières. […]
Les objectifs de recherche
Le premier objectif retenu par les chercheurs devait inévitablement s’attarder à la reconnaissance des espèces d’insectes piqueurs appartenant notamment aux familles des Culicidae, des Simuliidae et des Tabanidae, à leur distribution et à leur abondance, à leurs cycles de vie et aux conditions écologiques favorisant leur développement. En 1974, on devait ajouter un second objectif de recherche lié, cette fois, à la mise au point d’approches visant à cartographier les milieux propices au développement, en particulier, des formes immatures des moustiques, et ce, dans une perspective de contrôle de leurs populations. Les pressions engendrées à travers le monde au début des années 90 par l’utilisation exagérée de pesticides chimiques ont amené les membres du GRIP à retenir un nouvel objectif de recherche, soit la mise au point d’approches biologiques de contrôle des populations de moustiques.
Parallèlement, une préoccupation majeure a été accordée au potentiel épidémiologique lié à certaines espèces d’insectes piqueurs, tant pour la santé humaine que pour la santé animale. C’est ce dernier objectif qui a récemment amené certains membres du groupe à élargir leurs préoccupations de recherche à d’autres arthropodes piqueurs responsables des problèmes de santé soulevés par des maladies telles la tularémie et la maladie de Lyme.
Les espèces de moustiques et leurs milieux naturels de développement
Rappelons brièvement comment se déroule le cycle vital des moustiques, dont l’origine est tropicale. Ces insectes passent tous par une phase de vie se déroulant en milieu aquatique et comportant les stades de l’œuf, de la larve et de la nymphe ; au cours de cette période, les populations sont confinées à la collection d’eau stagnante où les œufs ont éclos. Suit une phase terrestre au cours de laquelle les individus, surtout les femelles, ont un pouvoir de dispersion, généralement de quelques kilomètres carrés. Compte tenu de la grande variété de climats sous lesquels évoluent les quelques 2 000 espèces à travers le monde, il existe un certain nombre de variantes à ce cycle, correspondant en pratique à de véritables adaptations climatiques. Ainsi, dans les régions à climat tempéré ou froid, avec une saison hivernale plus ou moins prononcée et longue, les espèces sont généralement univoltines (une seule génération par année). Les œufs passent par une diapause, ou état de repos forcé, pouvant s’étirer sur plusieurs mois. Ils sont pondus dans le courant de l’été, en périphérie de mares en voie d’assèchement.
Au début du printemps, une fois la diapause terminée à la suite de l’exposition des œufs au froid, il y a éclosion puis développement des formes larvaires. De trois à quatre semaines plus tard, il y a nymphose et, au bout de quelques jours, émergence des adultes. En simplifiant, on peut dire que les espèces de moustiques des régions boréo-tempérées sont étroitement associées, lors de leur phase immature, aux zones humides constituées d’eau stagnante temporaire peu profonde. C’est une constatation primordiale, point de départ des deux voies de recherche [qui ont été] suivies depuis la fondation du GRIP. Dans un premier temps, […] nous avons analysé quels étaient les liens qui pouvaient exister entre la végétation caractérisant les milieux humides et les espèces de moustiques que l’on pouvait observer, selon la nature des différentes catégories de milieux humides que la végétation nous permettait de distinguer. […] Une deuxième voie de recherche, à caractère plus fondamental, s’est simultanément présentée à notre groupe. Ainsi, le fait de constater l’existence d’une relation étroite et distinctive entre les communautés végétales analysées et les populations de moustiques correspondantes nous a amenés à vérifier dans quelle mesure, lors de la ponte, les femelles « choisissent » leur site d’oviposition, sur quelle base et en fonction de quels critères, paramètres et facteurs écologiques. […]
Nous avons ainsi démontré que les larves produisent des substances, vraisemblablement des phéromones, véritables messages chimiques perçus par les femelles à la recherche d’un site pour déposer leurs œufs. Nous avons également pu montrer que ces phéromones, solubles dans l’eau des mares en conditions naturelles résistent pendant plusieurs semaines, c’est-à-dire, dans la nature, le temps entre l’apparition des adultes, l’assèchement des mares et la ponte des femelles. Nous savons aussi que les larves en produisent dès leur sortie de l’œuf ; les femelles semblent, en outre non seulement percevoir si le site de ponte choisi a déjà été occupé par des larves mais aussi, et globalement, en quelle quantité. Des expériences ont établi que les femelles évitent les sites ayant été surpeuplés pour en choisir d’autres. La nature de la substance demeure obscure. Par ailleurs, il semble que des bactéries et des champignons présents dans les mares où évoluent les populations larvaires joueraient également un rôle dans le choix du site de ponte retenu. Ce domaine de recherche présente une avenue intéressante en matière de lutte biologique comme en écologie fondamentale. […]
Recherche d’agents pathogènes aux moustiques et mouches noires
La lutte biologique contre les insectes piqueurs a été amorcée au début des années 80. Des agents microbiens ont surtout été utilisés, en particulier Bacillus thuringiensis israelensis ou B.t.i. Dans les laboratoires du GRIP, on tente de trouver des approches de lutte biologique aux moustiques et mouches noires en isolant, notamment, des virus, des moisissures et des microsporidies (protozoaires parasites). […] Le but ultime de ces travaux est de bien connaître ces souches pathogènes afin de s’en servir comme agents de contrôle biologique des insectes piqueurs en général. […] Le laboratoire du GRIP possède également une expertise dans l’étude d’impacts sur la faune non ciblée tels autres insectes, poissons, amphibiens, lors de l’application sur le terrain d’insecticides biologiques contre les formes immatures d’insectes piqueurs. […]
Préoccupations nouvelles pour d’autres arthropodes piqueurs
Depuis quelques années, les vacanciers des côtes maritimes du nord-est des États-Unis réalisent qu’ils sont exposés au risque de contracter, lors de leur séjour dans la nature, la maladie de Lyme. Cette maladie, déjà bien connue en Europe, est attribuable à une bactérie spirochète, Borrelia burgdorferi, transmise principalement en Amérique du Nord par la tique Ixodes dammini. Cette dernière, un arthropode ectoparasite appartenant à la classe des araignées, nécessite, pour réaliser son cycle vital, le prélèvement de protéines sanguines sur des mammifères tels le cerf de Virginie, la souris à pattes blanches et, occasionnellement, les humains ; cette tique, passant un certain temps dans la végétation herbacée au cours de son développement, profitera du passage d’une personne pour s’y agripper et possiblement s’installer sur la peau afin de procéder à son alimentation sanguine. Bien que cette espèce n’ait pas encore été recensée au Québec [nous sommes en 1993], des cas de maladie de Lyme y sont rapportés.
S’ajoute une seconde espèce dont l’importance épidémiologique pour les humains fait l’objet de travaux par notre équipe de recherche. Il s’agit de l’espèce Haemaphysalis leporis-palustris, responsable de la transmission de la tularémie chez plusieurs petits mammifères tels le lièvre, le castor et le rat musqué ; en cas de contact avec le sang de ces animaux, il est reconnu que l’homme peut contracter cette maladie d’origine bactérienne. […]
Des contributions au niveau international
Dans le cadre des travaux de l’Organisation mondiale de la santé [OMS] relativement à la lutte contre l’onchocercose en Afrique Centrale, plusieurs membres du GRIP ont participé à la mise au point de stratégies visant à optimaliser l’utilisation des pesticides biologiques, notamment le B.t.i., contre les mouches noires ou simulies responsables de la transmission filaire chez l’homme. Cette contribution des chercheurs trifluviens s’est avérée fort importante, favorisant leur présence dans le programme de l’OMS de 1985 à 1989. Depuis 1992 et jusqu’en 1997, des membres du GRIP collaborent à un projet de l’ACDI [Agence canadienne de développement international] visant à établir un programme d’éducation et de contrôle pour contrer les effets de la dengue hémorragique au Sud Vietnam. […]
Perspectives de développement
Le développement des populations de moustiques est largement influencé par les conditions environnementales ; d’ailleurs, les insectes sont reconnus, de par leur génétique, comme étant très flexibles et il n’est pas rare de constater des adaptations nouvelles et rapides de leur part dans des milieux soumis à divers aménagements, donc à diverses pressions. […] La recherche d’insecticides biologiques pouvant remplacer le mieux possible les approches chimiques dans la lutte contre les insectes piqueurs demeure prometteuse ; ainsi, l’utilisation de divers agents pathogènes tels virus, bactéries, nématodes, champignons et substances toxiques d’origine naturelle, fait l’objet de travaux actuels du GRIP. Ces approches sont intéressantes dans la mesure où certaines espèces peuvent s’avérer dangereuses pour la santé humaine et animale. […]
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