Pendant l’enfance, le fait de s’identifier à un héros de fiction est une pratique courante. Or, tous les jeunes ne se voient pas nécessairement en Harry Potter, la Reine des neiges ou Ironman. Il est particulièrement difficile pour les personnes LGBT de trouver des figures qui leur ressemblent, en particulier dans la littérature jeunesse.
Véritable pionnier en la matière, Samuel Champagne, diplômé du doctorat en lettres de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), se consacre à l’écriture de romans jeunesse mettant en scène des personnages issus de la diversité sexuelle. Lui-même transsexuel et homosexuel, il témoigne du rôle de la fiction dans son cheminement personnel.
« Quand j’étais plus jeune, j’avais besoin de m’évader. J’aimais beaucoup sortir de ma tête, et ne pas avoir à penser à mon fonctionnement en société. En fait, je préférais me plonger dans un récit plutôt que de jouer avec mes amies. Je les regardais, et je ne comprenais pas comment elles fonctionnaient, ou pourquoi elles avaient tels intérêts. C’est probablement pour ça que ça me faisait du bien de me plonger dans la peau d’un autre personnage », raconte Samuel.
« Plus tard, lorsque j’ai commencé ma maîtrise, j’ai écrit une petite nouvelle pour mon cours de création littéraire. Elle racontait l’histoire de deux garçons qui prenaient le train. Tout le monde y a vu un sous-texte homosexuel, mais ce n’était pas du tout volontaire de ma part. En relisant mes écrits, je me suis rendu compte que l’homosexualité était toujours en filigrane de ma création. J’ai donc décidé d’écrire un roman avec deux garçons qui tombent en amour, tout en étant conscient de mon intention. Je me suis rendu compte que ça venait tout seul », ajoute-t-il.
Réalisant que les récits de fiction qui naissaient de sa plume reflétaient en fait ce qu’il désirait, l’auteur a décidé de s’engager dans un processus de transition.
Comprendre le phénomène
En parallèle de sa propre expérience, Samuel a commencé à s’intéresser aux personnages LGBT dans la littérature québécoise. Il choisit ainsi de venir faire son doctorat à Trois-Rivières.
« J’ai choisi l’UQTR principalement pour trois raisons. D’abord, je voulais que mon directeur de thèse soit un véritable spécialiste, qui allait pouvoir nourrir ma réflexion, m’orienter et me faire grandir. C’est ce que j’ai trouvé en la personne de Johanne Prud’homme. Ensuite, je voulais un profil qui me permette à la fois de faire de la création littéraire et de la recherche. Enfin, je voulais avoir du coaching par une personne qui s’y connaissait plus que moi, afin d’éventuellement publier dans les maisons d’édition », explique-t-il.
Dans ses travaux, Samuel se penche sur la littérature jeunesse publiée au Québec et ailleurs, afin de déterminer comment la sortie du placard (le fameux coming-out) y est abordée.
« Je lisais beaucoup de romans des États-Unis, et je me suis rendu compte que la sortie du placard arrivait toujours vers la fin du livre. En fait, le début du livre servait uniquement à faire réaliser au personnage son orientation sexuelle », note l’auteur.
« J’ai donc eu l’idée de créer le concept du coming-in (l’entrée dans le placard). J’ai réalisé que le milieu de vie dans lequel le personnage se trouve a une importance capitale sur son évolution. S’il habite en milieu urbain ou rural, s’il est élevé par ses grands-parents, si c’est un immigrant, ou s’il appartient à une communauté culturelle ou religieuse, ça aura un impact considérable sur sa construction et son acceptation de soi. En fin de compte, le coming-out du personnage est façonné par son coming-in », renchérit-il.
Au cours de ses recherches, Samuel a réalisé que la littérature jeunesse LGBT au Québec était assez mince, surtout en ce qui a trait aux personnages trans. Aussi, ce qu’il a trouvé ne l’a pas satisfait en tant que lecteur.
« Une histoire d’amour entre deux garçons, ça devrait être un minimum réaliste. Un récit impliquant deux adolescents, mais dénué de toute sexualité, c’est invraisemblable, puisque ça fait partie intégrante du développement. De plus, j’ai souvent lu des romans où l’auteur semble monter une liste d’épicerie de personnages, avec un gars trans, une fille lesbienne, un garçon hétérosexuel efféminé, un homosexuel qui fait du sport, etc. Il y a quelque chose qui sonne faux dans le fait de mobiliser tous ces personnages en même temps », commente-t-il.
Changer les mentalités, une bataille continuelle
Au cours des derniers mois, plusieurs événements ont mis en exergue les tensions sociales entourant le traitement réservé aux minorités. À ce sujet, Samuel espère aider à faire tomber certaines barrières.
« J’ai toujours trouvé que le roman de fiction était un bon moyen de susciter l’empathie, la compréhension de l’autre et l’ouverture sur le monde. Cela permet d’amener le lecteur à s’interroger sur les préjugés associés aux personnes LGBT, de manière à les déconstruire. Pour moi, c’est une façon de susciter le dialogue, et j’espère attirer de notre côté ceux qui sont capables d’amener du changement », conclut l’auteur.