Depuis que son premier film Mutants a remporté le prix du Meilleur court-métrage canadien au Toronto International Film Festival, on peut dire qu’Alexandre Dostie a franchi avec succès la porte le menant vers le septième art. Le chemin pour s’y rendre a été parsemé d’expérimentation artistique et de poésie, mais aussi d’introspection et de vertiges, permettant à ce diplômé de l’UQTR au baccalauréat en communication sociale de marcher sur le tapis rouge sans perdre son authenticité. Incursion dans l’univers créatif du jeune cinéaste.
Originaire de Saint-Honoré-de-Shenley, en Beauce, Alexandre avoue puiser dans ses souvenirs pour créer l’univers et les personnages qu’on retrouve dans ses œuvres récentes : « Quand j’étais jeune, je travaillais au garage à mon père. Les villageois que je côtoyais au quotidien se sont transformés en une source d’inspiration incroyable. Je crois que ces gens-là ne réalisaient pas à quel point ils étaient des personnages en soi, qu’ils faisaient des performances. Dans Shenley et dans Mutants, c’est d’eux que je parle. »
Shenley, c’est le titre de son premier recueil de poésie publié aux Éditions de l’Écrou en 2014. Tout comme pour son court métrage Mutants, les enjeux narratologiques prennent forme dans la ruralité beauceronne, à travers « des forces brutes qui sculptent les paysages et les êtres », comme il se plaît à le dire, avant d’ajouter : « Mon rapport au cinéma et à la poésie tourne autour de cela. La vie, c’est des chocs, des contradictions; c’est une mécanique qui me fascine. »
Trouver l’artiste
Cette même mécanique qui le fascine le mène à quitter la Beauce pour étudier à l’UQTR et, plus tard, faire de Trois-Rivières sa ville d’adoption. Il choisit l’UQTR parce que, selon lui, l’université trifluvienne offre plusieurs possibilités à ceux qui veulent s’impliquer dans la vie étudiante : dans son cas, ce fut la ligue d’impro et la radio campus CFOU 89,1 FM. Côté études, l’attrait du baccalauréat en communication sociale provient des cours en production télévisuelle, qui stimulent sa passion pour un médium auquel il prend goût dès l’école secondaire à travers de petits projets vidéo.
Les rencontres avec d’autres universitaires ayant les mêmes intérêts lui permettent d’exprimer son côté artistique. « L’archétype de l’artiste contemporain, postmoderne, est rare en Beauce. C’est donc à Trois-Rivières que j’ai pu rencontrer des personnes qui me ressemblent et travailler sur des projets artistiques », précise celui qui vivra ainsi l’émancipation vers le septième art.
Un premier projet
Adjoint de son camarade de classe Luc Bourque, également diplômé de l’UQTR au baccalauréat en communication sociale, Alexandre fait ses premiers pas en production télévisuelle avec Kramer et Gomez en Mauricie. Cette série de dix épisodes d’une quinzaine de minutes, diffusée au Canal Vox en 2005, met en vedette John Kramer et Gomez McFrost, deux flics au look des années 1970, qui mènent des enquêtes parsemées d’intrigues loufoques et de faits inusités. « C’était ma première fois au scénario et à la réalisation. On peut dire que c’est la fondation de mon parcours artistique, dans le sens où, avec Luc, nous avons offert au public une œuvre entièrement sortie de notre tête », raconte celui qui, à cette époque, termine son baccalauréat.
Suivra ensuite Kramer et Gomez à Montréal, une série de 14 épisodes également réalisée pour le Canal Vox durant une escapade de 3 ans dans la métropole. En parallèle, Alexandre travaille pour une boîte de communication à Montréal, où il réalise surtout de la vidéo corporative. « Rapidement, c’est devenu assez contraignant pour moi », affirme-t-il, précisant la difficulté à s’exprimer artistiquement dans cet environnement.
Sous le charme de Trois-Rivières
De retour à Trois-Rivières à l’été 2009, le diplômé de l’UQTR s’installe dans le quartier Sainte-Cécile. « À ce moment-là, j’ai découvert la vraie Trois-Rivières, son centre-ville, sa beauté, son charme, ses recoins… Je suis littéralement tombé amoureux », exprime le jeune homme, qui se laisse inspirer par cet émerveillement pour scénariser et réaliser une série Web intitulée Sainte-Cécile. « En cinq courts tableaux cinématographiques, appuyés par un récit poétique, Sainte-Cécile représente mon coup de cœur pour ce quartier-là et ses habitants. Dans ma démarche artistique, cela marque également une convergence intéressante entre le cinéma et mon intérêt grandissant pour la poésie », commente-t-il.
La poésie des beautiful losers
Alexandre Dostie compare d’ailleurs le recueil de poésie à un film, avec des séquences, des enjeux et des personnages qui composent avec leurs propres sentiments. Il précise : « La poésie se rapproche du cinéma dans sa façon de synthétiser le moment, de générer des rapports de force entre des concepts, des mots et des images. » Autant dire que la poésie nourrit son imaginaire cinématographique, et vice-versa. On le remarque, à la lecture de son recueil de poésie Shenley comme au visionnement de son court-métrage Mutants, dans la manière dont le récit installe les protagonistes et raconte les enjeux dramatiques.
Il y a, de fait, une poésie dans les chocs, les contrastes inhérents à la vie. Et le cinéaste poète veut nous la faire découvrir à travers l’œil de ceux qu’il nomme affectueusement les beautiful losers, « ces individus qui ont trop d’égo pour s’avouer vaincus et qui, plutôt que d’arrêter, continuent tout de même à avancer tête première vers le mur. Ils ne vont pas essayer de camoufler les pots cassés et, parfois, ils vont s’en sortir à la dernière minute. Ils sont beaux parce qu’il y a une naïveté, un jusqu’au-boutisme qui les caractérise, un romantisme dans cette quête aveugle et une certaine beauté dans leur défaite », explique Alexandre Dostie, avant d’ajouter : « Je m’identifie pas mal à ces personnages-là. »
Cette beauté dramatique, qui n’est par ailleurs pas étrangère à l’univers cinématographique des frères Cohen, se retrouve aussi dans Mutants. Ce court métrage, qui traite de l’éveil à l’amour chez un adolescent, prend place dans la ruralité crue, autour d’un terrain de baseball et d’un poste d’essence – petit clin d’œil au passé d’Alexandre. Tourné en Beauce, ce « film de la première fois » est un pari audacieux puisque, outre les personnages adultes, il repose sur une équipe d’acteurs composée d’ados qui en sont à leur première expérience devant la caméra. « Ce fut un défi de diriger des jeunes, mais c’est le cœur du film. L’idée à la base de Mutants, c’était de réaliser un film sur la puberté et je voulais des visages qui évoquaient cela », explique celui qui, depuis 2012, agit comme directeur artistique et de la distribution chez Travelling, une compagnie qui se charge de faire connaître le court-métrage québécois à travers le monde.
Du plateau au tapis rouge
Être à l’aise sur un plateau, diriger des acteurs pour la plupart non professionnels, gérer une équipe de tournage : l’expérience aurait pu mal tourner et le jeune réalisateur de devenir, à son tour, un beautiful loser. « Je suis une personne assez compétitive vis-à-vis moi-même, concède-t-il. J’ai besoin d’essayer, de me faire peur. Me lancer dans le cinéma m’a fait peur, mais je voulais sentir que j’avais la légitimité de porter le titre de réalisateur. »
La suite s’écrit d’elle-même : Mutants reçoit plus d’une quarantaine de sélections dans les festivals de films à travers le monde, de même que le prix du Meilleur court-métrage canadien au Whistler Film Festival 2017 ainsi qu’au prestigieux Toronto International Film Festival 2016. Se remémorant l’événement, Alexandre Dostie lance : « C’était incroyable! C’est un moment dont je vais me rappeler toute ma vie! » Un moment de gloire pour lui, certes, mais aussi pour tous les beautiful losers de ce monde qui l’inspirent.