Luc Bellerive se destinait à l’enseignement du français. Le hasard en a décidé autrement. Copropriétaire et gestionnaire pour Le Trou du Diable, le diplômé de l’UQTR au baccalauréat en enseignement au secondaire est à la fois acteur et témoin de l’expansion de cette célèbre microbrasserie québécoise, qui fête cette année ses dix ans d’existence.
L’ouverture officielle du pub Le Trou du Diable, sur la rue Willow à Shawinigan, arrive le 12 décembre 2005. «Après ça, la vie a passé pas mal vite!», s’exclame Luc Bellerive, avant de poursuivre sur sa lancée: «Quand je me suis embarqué dans le projet, je me disais que ça allait être mon à-côté. Mais déjà, dans la première année, ça a pris beaucoup d’ampleur. Pendant les 3 ou 4 années suivantes, je menais 2 emplois de front, l’un à la Commission scolaire de l’Énergie et l’autre au pub, ce qui me faisait 75-80 heures par semaine.»
Il finit par choisir de délaisser l’enseignement. «Ça s’est imposé de soi. Je ne pouvais juste pas tourner le dos au Trou du Diable, c’était trop stimulant», concède le diplômé de l’UQTR qui, après être tombé un peu par hasard dans le projet au début, s’est ensuite laissé emporter par son succès.
Le projet
Obtenant son diplôme en 1998, il entreprend sa carrière d’enseignant tout en conservant des jobs de disc-jockey et de barman en parallèle pour, dit-il, «joindre les deux bouts, parce que souvent lorsqu’on débute en enseignement, c’est une succession de petits contrats».
En 2003, le maître brasseur André Trudel, une connaissance de la conjointe de Luc, fait part à celui-ci d’un projet de microbrasserie sur lequel il travaille depuis quelques années en compagnie de deux autres collègues, soit Isaac Tremblay et Franck Chaumanet. Luc se montre intéressé par l’idée et entreprend de réactualiser le plan d’affaires, qui avait été laissé un peu de côté après que le groupe eut essuyé quelques refus de financement.
La contribution de Luc porte ses fruits : le 21 décembre 2004, les 5 partenaires – Dany Payette se joint à l’équipe et quittera le navire plus tard – reçoivent la confirmation que leur projet est financé. Ils se mettent alors à pied d’œuvre pour matérialiser ce qui deviendra la coopérative brassicole Le Trou du Diable.
La légende
Le pub est nommé selon la légende du même nom, faisant référence au bas des chutes de Shawinigan, qui se déversent dans une large et profonde cuvette rocheuse dans laquelle s’engouffre une importante masse d’eau, créant de violents remous, particulièrement au printemps. C’est là que se trouve le fameux «trou du diable» qui est, paraît-il, sans fond…
Historiquement, les Amérindiens appelaient cet endroit habité par de méchants esprits «le trou des mauvais manitous», croyant que ceux qui y tombaient étaient emprisonnés éternellement dans ses remous. Plus tard, les Jésuites lui donnèrent le nom de «trou du diable» après que les Iroquois y jetèrent la dépouille du père Jacques Buteux, accueillie par le Diable, enchanté de ce qui venait de se produire.
«Nous voulions utiliser l’histoire et le folklore pour mettre notre ville en valeur. Nous avons ainsi nommé le pub en hommage à l’un des emplacements importants de Shawinigan, que des visionnaires de toutes les époques avaient à l’œil notamment pour son potentiel hydroélectrique», relate Luc Bellerive. Et malgré que certaines personnes les préviennent que le nom « trou du diable » leur porterait malheur, la suite des choses finit par prouver le contraire…
Le succès
De fait, la réputation du Trou du Diable n’est aujourd’hui plus à faire, autant pour les amateurs de bières de microbrasserie que pour ceux qui recherchent le côté gastronomique. Le succès du pub, toujours plein à craquer, s’explique selon le principal intéressé par «une combinaison de la cuisine de Franck, des idées d’André pour brasser des bières distinctives, et de notre philosophie d’entreprise à tous qui consiste à travailler sans compromis pour offrir au client des produits locaux, frais et de qualité».
La suite logique est de commercialiser les bières créées sur place: «Depuis le début, nous développions notre marque et, à un certain moment, nous nous sommes dit que l’image du Trou du Diable était assez forte pour bien se positionner sur le marché.»
Après quelques années, l’emplacement où se trouve le pub atteint sa pleine capacité, tant sur le plan de l’affluence que sur celui de la production de bière, dont la demande croît sans cesse. Luc qui, dans les débuts, touche à tout – la cuisine, le bar, la musique et la gestion du personnel – se consacre à la gestion du pub à temps plein à partir de 2010. «Nous avons commencé à parler d’expansion, et j’ai pris en charge tout ce qui concerne la partie financière du projet de l’usine, les politiques, le respect des normes environnementales, les aspects légaux, etc.», explique-t-il.
L’expansion
L’espace du pub ne suffisant plus, l’équipe décide de transférer la production dans une usine pour répondre à la demande de plus en plus grande pour les bières produites par Le Trou du Diable. «Notre projet d’expansion est venu aux oreilles du maire de Shawinigan, Michel Angers. Celui-ci travaillait, avec ses partenaires, à mettre sur pied un projet d’incubateur d’entreprises, qui est aujourd’hui le Centre d’entrepreneuriat Alphonse-Desjardins Shawinigan. Comme notre projet cadrait avec la mission du Centre, il nous a offert de nous y installer et nous avons commencé à y brasser nos bières en janvier 2013», précise l’homme d’affaires.
Le Trou du Diable est, par le fait même, devenu un modèle pour les personnes qui veulent se lancer en affaires. Fiers du chemin parcouru, Luc Bellerive et ses collègues croient avoir démontré qu’il est possible de réussir à partir d’une bonne idée. Des 8 employés au départ – incluant les 5 cofondateurs – l’équipe en compte maintenant environ 90. Bientôt, l’usine atteindra un flot de quelque 16 500 hectolitres de bière, ce qui, pour l’instant, mettra un terme à l’expansion de la production qui avoisinera en moyenne l’équivalent de 4,5 millions de petites bouteilles annuellement.
Profiter de la tendance
Il n’y a aucun doute que Le Trou du Diable, bien qu’il se soit placé à l’avant-plan sur le marché de la bière artisanale, surfe sur la vague de l’engouement pour les microbrasseries. Selon son gestionnaire, à quoi peut-on attribuer l’explosion des brasseries artisanales au Québec? «Depuis une vingtaine d’années, on remarque un éveil des Québécois pour la gastronomie. Il y a, je dirais, un plaisir de goûter qui s’est installé et qui s’est répandu à d’autres sphères connexes, comme celle de la bière. Il faut se rappeler que la bière a été en quelque sorte victime du phénomène d’industrialisation. La constante recherche de profit et l’augmentation de la production a apporté une baisse de la qualité, de sorte que les bières produites à grande échelle se sont affadies. Les microbrasseries, dans leur essence, sont créatives et arrivent sur le marché avec toute une palette de saveurs qui vont chercher ce plaisir de goûter, de déguster», philosophe l’homme d’affaires, ajoutant qu’«il reste encore beaucoup de chemin à faire puisque les microbrasseries occupent seulement 10 % du marché de l’alcool au Québec».
Avec, par exemple, l’entrée d’une grande sélection de bières de microbrasseries québécoises dans les épiceries, cette proportion est appelée à s’accroître. Ce qui apporte évidemment le défi de répondre à la demande. Dès lors, la question se pose : en augmentant substantiellement sa production, est-ce que Le Trou du Diable ne risque pas de perdre en qualité? À cet égard, Luc Bellerive est catégorique : «D’un côté, la demande est en croissance, certes, mais de l’autre, nous avons une vision à long terme pour la marque du Trou du Diable. Jamais nous ne mettrons sur le marché un produit qui ne serait pas prêt et dont nous ne serions pas satisfaits.»
L’autre défi, c’est de rester créatif pour continuer à se démarquer. À cet égard, Le Trou du Diable a souvent été en avant des tendances du marché, ce qui lui a valu, au fil des ans, plus de 85 prix et reconnaissances sur la scène internationale. «Il faut continuer à créer de nouvelles tendances plutôt que de les suivre, et notre maître brasseur a plusieurs idées derrière la tête!», soutient le diplômé de l’UQTR. Nul doute que Luc Bellerive et ses partenaires d’affaires sauront nous en mettre plein la gueule dans le futur, tant sur le plan du goût que sur celui du rayonnement de l’entreprise!