La technologie occupe une place grandissante dans la société contemporaine. Or, ce virage numérique peut constituer un obstacle pour les personnes qui présentent une déficience intellectuelle. Selon Dany Lussier-Desrochers, professeur au Département de psychoéducation de l’UQTR, plusieurs d’entre elles ont en effet du mal à utiliser efficacement les technologies développées à l’intention du grand public.
« Le virage numérique fait en sorte que plusieurs personnes présentant une déficience intellectuelle sont complètement écartées de la société. C’est une nouvelle forme d’exclusion sociale, qu’on pourrait qualifier d’exclusion numérique. C’est pour cela que nous travaillons à nous assurer que les technologies sont en mesure d’aider ces personnes, et non de leur nuire », lance-t-il.
Pour illustrer son propos, le professeur donne l’exemple des électroménagers. Aujourd’hui, les fours micro-ondes, cuisinières et autres appareils domestiques fonctionnent avec des panneaux de contrôle sophistiqués. Or, leur utilisation constitue désormais une tâche complexe pour les personnes présentant une déficience intellectuelle.
Un milieu de vie intelligent
Dans les dernières années, le professeur Lussier-Desrochers a pris part à des projets technologiques d’envergure, qui ont pour but de procurer davantage d’autonomie aux personnes présentant une déficience intellectuelle.
Le premier de ces projets est la création d’un appartement intelligent destiné à la recherche. En 2004, alors qu’il complétait un stage doctoral au Massachusetts Institute of Technology, M. Lussier-Desrochers a été contacté par le professeur Yves Lachapelle du Département de psychoéducation de l’UQTR. Spécialiste de la déficience intellectuelle, M. Lachapelle désirait recruter un chercheur expérimenté en matière de technologies, en particulier dans un contexte relié à l’éducation.
Leur collaboration a donné lieu en 2010 à la construction d’un prototype d’appartement au pavillon Michel-Sarrazin. Si plusieurs projets de ce genre existent au Québec, celui de l’UQTR a la particularité d’avoir été développé par une équipe de psychoéducateurs plutôt que par une équipe d’informaticiens.
« Ce que nous voulions faire, c’était de mettre en place un environnement qui permette de soutenir une personne présentant une déficience intellectuelle dans son quotidien. Ainsi, nous avons eu recours à des technologies déjà disponibles sur le marché, et nous les avons adaptées pour les intégrer à sa routine. Par exemple, nous utilisons des cadres photo numériques dans la cuisine, afin de lui montrer les étapes pour faire une recette. Donc, plutôt que de regarder des souvenirs de voyage, la personne voit des photos qui lui montrent la marche à suivre. Cela peut faire une grande différence dans sa vie », soutient M. Lussier-Desrochers.
En fait, l’appartement intelligent de l’UQTR peut faire de nombreuses choses. Par exemple, il peut servir d’assistant en matière de médication. Grâce à un pilulier intelligent, il est possible d’envoyer des rappels sur le téléphone de la personne présentant une déficience intellectuelle, ou encore d’acheminer un signal au pharmacien et à la famille si la prise de médicaments est anormale.
L’appartement peut également guider la personne durant la nuit en lui traçant un chemin lumineux. Cette dernière peut ainsi se rendre à la salle de bain en toute sécurité, ou encore être dirigée vers l’extérieur en cas de situation dangereuse.
L’application Marti
Outre son implication dans l’aménagement des installations expérimentales du pavillon Michel-Sarrazin, M. Lussier-Desrochers a collaboré avec le professeur Lachapelle au développement de Marti, un assistant à la réalisation de tâches destiné aux appareils mobiles.
« L’application a été créée à l’UQTR, par le biais d’une collaboration avec l’entreprise Infologique. Elle permet de présenter une tâche étape par étape, en montrant des images pour expliquer la procédure. Un parent ou un proche peut donc prendre des photos et des vidéos directement avec un appareil mobile, et le tout s’attache automatiquement. Les personnes présentant une déficience intellectuelle ont ensuite accès à toutes les étapes des tâches enregistrées », explique le professeur.
Établir des normes
Pour le professeur, il demeure essentiel de soutenir l’inclusion numérique. Pour cette raison, lui et ses collaborateurs ont mené une consultation à travers le Québec, rencontrant au passage des employés gouvernementaux, des représentants d’organismes communautaires, et bien entendu des personnes présentant une déficience intellectuelle.
« À partir des réponses obtenues, nous avons établi en 2016 la Charte pour des technologies inclusives, qui contient dix recommandations et dix actions à faire dans les prochaines années. Ces actions s’adressent aux chercheurs, aux développeurs informatiques, aux intervenants du secteur des services sociaux, à la société en général et aux politiciens », énumère M. Lussier-Desrochers.
Dans le souci de consolider les recommandations de la Charte, l’équipe du professeur a lancé en 2017 un plan d’action de cinq ans pour l’inclusion numérique. Ce plan détaille chacune des recommandations de la Charte, en les traduisant en actions précises et en indicateurs. Le succès de leur démarche pourra ainsi facilement être évalué.
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