En mars dernier, le professeur en sciences de l’environnement et glaciologue Christophe Kinnard de l’UQTR s’est déplacé au Chili pour y étudier, pendant quelques jours, le glacier Universidad situé dans les Andes. Le chercheur avait déjà mené des travaux scientifiques sur cette immense structure de glace de 2012 à 2014, mais ne l’avait pas revue depuis. À son arrivée, il a constaté avec étonnement l’effet des changements climatiques sur le glacier, dont l’état s’est grandement détérioré en quelques années seulement.
« Les transformations sont vraiment très frappantes et impressionnantes, constate Christophe Kinnard. La superficie de la glace a diminué et le front du glacier a reculé. Mais surtout, la surface est devenue complètement chaotique, avec beaucoup de poussières et de débris. Tout cela ne ressemble en rien à ce que j’avais observé il y a huit ans. La surface était alors assez lisse et le glacier apparaissait en relativement bonne santé. Maintenant, c’est une espèce de chaos de glace qui est en train de fondre rapidement. Cela donne l’impression d’un glacier en début de fin de vie, qui pourrait disparaître complètement d’ici une trentaine d’années. »
Voyez ici une comparaison entre deux images satellitaires du glacier Universidad, l’une (à gauche) datant de 2013 et l’autre (à droite) prise en 2022. Déplacez le curseur pour naviguer entre les deux photos.
Localisé dans la zone centrale du Chili, à quelque 500 kilomètres au sud de Santiago, le glacier Universidad est l’un des plus gros du pays (en excluant les glaciers situés à l’extrême sud, dans la région de la Patagonie). Perché à environ 3 000 mètres d’altitude, le glacier fournit en eau une station hydroélectrique située tout près. Son eau de fonte alimente également un réseau de rivières fort important pour les habitants et les agriculteurs.
« Le climat de cette région est très sec et il pleut très peu pendant l’été. L’eau libérée par le glacier durant la saison estivale est donc essentielle pour maintenir le débit des rivières et alimenter les nappes phréatiques. De plus, il y a beaucoup d’agriculture, de vignes et de production de fruits dans ce secteur, tout cela exigeant une grande quantité d’eau qui est puisée dans les rivières. La population est donc très dépendante du glacier et la disparition probable de ce dernier pose d’importants défis aux Chiliens », rapporte le professeur Kinnard.
Une expédition scientifique internationale
Soucieux d’examiner l’impact des changements climatiques sur le glacier Universidad, des chercheurs de l’Université de Concepción (sud du Chili) et de l’Université du Chili (Santiago) ont organisé une expédition scientifique sur le glacier à la mi-mars 2022, pour y recueillir des données pendant trois jours. Ils ont convié le professeur Christophe Kinnard à participer à ce projet, ainsi que des chercheurs de l’Université du Texas.
Une dizaine de personnes – professeurs et étudiants – ont pris part à l’expédition. L’équipe a d’abord quitté la ville de Concepción et fait cinq heures de route pour se rendre à destination. Les scientifiques ont pu s’approcher du pied du glacier avec leurs véhicules, grâce à un chemin aménagé par l’entreprise hydroélectrique située à proximité. De là, les chercheurs ont marché environ une heure, puis établi leur camp de base. Ils étaient accompagnés de guides locaux qui fournissaient une aide logistique et veillaient à la sécurité des participants.
Récolter des données grâce à des technologies de pointe
Sur les lieux, l’équipe de recherche a procédé à différentes mesures. « Nous avons fait voler des drones équipés de caméras pour prendre des images de la surface du glacier. Nous avons amassé quelque 12 000 photos prises avec différents angles, ce qui nous permettra de reconstruire la topographie en 3D du glacier avec une très haute précision, grâce à une technique appelée photogrammétrie », indique Christophe Kinnard.
Pour reconstituer la topographie du secteur étudié, les chercheurs ont également utilisé le LiDAR, un instrument fixé sur un trépied qui balaye la surface du glacier au moyen d’un rayon laser. Les images tridimensionnelles obtenues par le LIDAR seront comparées à celles produites par photogrammétrie.
Outre la topographie 3D, les photos prises par les drones serviront aussi à visualiser l’état de rugosité du glacier à une échelle extrêmement fine (1 cm par pixel). « Lorsqu’un glacier fond, des débris apparaissent et s’accumulent, ce qui change la rugosité de la surface. Quand la couverture de débris est mince et sombre, elle absorbe le rayonnement solaire, accumule de la chaleur et accélère la fonte du glacier. Mais quand elle s’épaissit au-delà d’un certain seuil, elle commence à isoler la glace et la préserve plus longtemps. Nos travaux visent donc notamment à comprendre comment la couverture de débris agit sur la fonte du glacier », ajoute le glaciologue.
Sur place, les chercheurs ont également prélevé des échantillons d’eau. « L’eau de fonte d’un glacier présente une signature chimique particulière, liée au poids des atomes d’hydrogène et d’oxygène qui la composent. En analysant l’eau récoltée à la sortie du glacier, nous identifierons cette signature. Nous pourrons ensuite prélever des échantillons d’eau dans les rivières plus bas, pour vérifier la présence de cette signature et évaluer dans quelle proportion l’eau des rivières est constituée d’eau de fonte du glacier », précise le professeur Kinnard.
Développer des modèles pour mieux prévoir l’avenir
L’expédition sur le glacier Universidad s’est déroulée à une période correspondant à la fin de l’été chilien. Le beau temps et les journées bien remplies ont permis à l’équipe scientifique de recueillir de nombreux renseignements.
« À partir des relevés sur le terrain et de données satellitaires, nous ferons la reconstruction historique des changements de volume du glacier, afin de comprendre comment il a évolué dans les dernières décennies. À l’aide de ces observations, nous bâtirons ensuite des modèles prévisionnels que nous testerons et calibrerons grâce à nos données historiques. Une fois ceci fait, nous alimenterons nos modèles avec différents scénarios de changements climatiques, pour faire des projections et essayer de prévoir l’évolution du glacier, de même que la contribution des eaux de fonte aux rivières », explique Christophe Kinnard.
Dans un article scientifique publié en 2020, le chercheur avait déjà présenté des travaux de simulation liés au glacier Universidad. Les projections obtenues montraient une perte de plus de 60 % du volume du glacier d’ici la fin du siècle, ainsi qu’une baisse progressive de la contribution des eaux de fonte aux rivières de la région.
Poursuite des travaux
Au cours des prochains mois, le glaciologue Christophe Kinnard accueillera à l’UQTR Juan Ignacio Varas, un étudiant de l’Université de Concepción, pour un stage de recherche portant sur le glacier Universidad. « Ce stagiaire, qui bénéficie d’une bourse Mitacs, comparera les nouvelles données fournies par les drones aux données historiques obtenues précédemment, pour effectuer un bilan de masse du glacier. Un doctorant de l’Université du Texas travaillera aussi en lien avec ce projet. Il tentera notamment de retourner plus loin dans le passé, en exploitant de vieilles photos aériennes du glacier prises par des satellites-espions utilisés dans les années 1950 à 1970. Ces images, auparavant classifiées secrètes, sont maintenant disponibles et pourront possiblement être utilisées pour allonger la chronique historique du glacier », mentionne le professeur Kinnard.
Le chercheur se dit encore marqué par les effets des changements climatiques qu’il a observés sur le glacier Universidad. « C’est une chose que de travailler avec des images satellitaires et des cartes géographiques, mais c’en est une autre que de voir de ses propres yeux la détérioration en accéléré d’un glacier. Il y a quelque chose d’extrêmement puissant dans le fait de visualiser soi-même le paysage qui change aussi rapidement. D’une année à l’autre, les modifications dues aux changements climatiques nous sont peu perceptibles. Et pourtant, ça change. J’ai pu le constater sur le glacier Universidad, et ce, en l’espace de moins d’une décennie », souligne-t-il.
Notons que le professeur Christophe Kinnard est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en hydrologie de la cryosphère. Il est également membre du Centre de recherche sur les interactions bassins versants – écosystèmes aquatiques (RIVE) de l’UQTR.
Voyez ici d’autres images de l’expédition scientifique sur le glacier chilien Universidad :