Avec la légalisation prochaine du cannabis au Canada, les provinces doivent développer des structures de distribution et de contrôle. Or, l’approche privilégiée par le gouvernement québécois inquiète Frédéric Laurin, professeur d’économie spécialisé dans la distribution des vins et des alcools au Québec.
En novembre dernier, la ministre déléguée à la Réadaptation, à la Protection de la jeunesse, à la Santé publique et aux Saines habitudes de vie, Lucie Charlebois, présentait à l’Assemblée nationale le projet de loi sur l’encadrement du cannabis. Selon ce document, c’est la Société des alcools du Québec (SAQ), par l’intermédiaire d’une nouvelle filiale, la Société québécoise du cannabis (SQDC), qui s’occupera de la gestion du cannabis. Cette disposition laisse cependant le professeur perplexe.
« J’ai peur qu’il y ait un mauvais mélange des genres entre le cannabis et le vin. La perception de la population par rapport aux deux produits est très différente. Au Québec, on associe le vin à l’histoire, à la gastronomie, à la sociologie. C’est un goût ! Le cannabis, pour sa part, a plutôt une image négative, à tort ou à raison. L’approche n’est pas du tout la même », explique M. Laurin.
« C’est mal traiter chacune des clientèles que de mélanger ces deux produits. C’est comme vendre des ordinateurs côte à côte avec des systèmes audio. Oui, ça demeure de l’électronique, mais ça implique des compétences complètement différentes. Il ne faudrait pas que la SAQ devienne un fourre-tout pour tout ce qui devient légal ! », ajoute-t-il.
Un manque de formation
En plus d’anticiper une promotion erronée de la part de la société d’État, M. Laurin doute que la SAQ puisse offrir les services et les compétences qui doivent accompagner le cannabis.
« Au contraire de ce qu’on pourrait imaginer, le système de monopole restreint le nombre de produits disponibles au Québec. Il y a des milliers de produits qui ne sont pas vendus en SAQ, et il est très difficile comme individu d’y avoir accès. De plus, le niveau de connaissances des employés de la SAQ n’est pas toujours suffisant pour se plonger dans la découverte de ces produits. Les employés vont généralement conseiller des produits issus des multinationales par exemple, plutôt que de nous étonner », constate-t-il.
Selon le règlement adopté par le gouvernement du Québec, chaque employé de la SQDC devra suivre une formation du ministère de la Santé et des Services sociaux. Encore une fois, le professeur Laurin s’interroge sur cet aspect, puisque les employés de la SAQ ne sont eux-mêmes pas tous formés adéquatement.
« Le problème, c’est que les employés n’ont pas nécessairement de formation en vins. Ce ne sont pas des sommeliers : il y a peut-être 200 employés dans le réseau SAQ qui suivent des formations. Certains employés ne savent même pas répondre aux questions de base. La SAQ est tellement grande qu’on ne peut pas s’attendre à ce que chaque employé possède des compétences. C’est déjà difficile d’avoir des expertises sur le vin, si en plus il faut développer des expertises sur le cannabis, ça devient beaucoup plus compliqué », lance-t-il.
« Au fond, la SAQ est un Costco du vin. Ils sont là pour écouler les bouteilles », renchérit M. Laurin.
La SAQ, une experte en commercialisation
Néanmoins, le professeur d’économie reconnaît que l’expérience de la SAQ en matière de distribution peut être bénéfique pour la SQDC. La SAQ dispose en effet d’un système de distribution et de logistique moderne et bien organisé. M. Laurin croit ainsi que le monopole d’État peut utiliser cette expertise et son savoir-faire pour distribuer et importer des produits, de même que pour développer des réseaux de contacts avec des producteurs ici ou à l’étranger.
Il pense aussi qu’un contrôle étatique permettrait d’assurer une certaine qualité, une distribution efficace, et une éducation adéquate, dans une première phase du processus de légalisation. Il propose cependant de réévaluer ce modèle étatique après cette première phase d’essai.
« Dans les supermarchés et les dépanneurs qui vendent du vin, il y a des agences qui dépendent de la SAQ. C’est toujours le monopole d’État qui contrôle la distribution, l’importation, la qualité et les prix, mais il n’en demeure pas moins que ce sont des lieux autres qu’une SAQ qui vendent directement aux consommateurs. Ce modèle pourrait être intéressant pour le cannabis : plutôt que de seulement créer des boutiques, il serait possible de vendre du cannabis dans des lieux déjà existants, mais dont la distribution resterait sous le contrôle de l’État », propose M. Laurin.
Retombées économiques importantes
Au-delà du système de distribution, le professeur considère que le potentiel économique du cannabis est important. Il note que la création d’un nouveau domaine économique implique le développement et la création d’emplois, surtout en régions, où devraient se retrouver les producteurs. M. Laurin remarque également qu’un commerce légal de cannabis permet au gouvernement de taxer le produit, en plus d’imposer les commerçants sur leurs profits.
« À partir du moment où ça devient légal, le potentiel économique est énorme. On sait qu’il y a une demande pour le cannabis, et que cette demande pourrait être beaucoup plus grande si le cannabis était légal », conclut-il.