Chaque année, des dizaines de milliers de personnes sont portées disparues au Canada. Lorsque les restes de certaines d’entre elles sont retrouvés, l’estimation exacte du temps écoulé depuis la mort demeure un défi. Afin d’améliorer significativement la précision de cette évaluation, la professeure en chimie forensique Shari Forbes de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) mènera un projet de recherche novateur, récemment subventionné par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) du Canada.
« Pour estimer l’intervalle de temps depuis un décès, différentes mesures ou biomarqueurs sont utilisés, suivant le stade de décomposition, explique Shari Forbes. Lorsque la mort est toute récente, certains états physiologiques du corps indiquent le moment du décès. Si la dépouille est en décomposition, les insectes présents fournissent des informations sur le délai post mortem. Et beaucoup plus tard, l’analyse d’un squelette permet d’établir approximativement le moment du décès. Mais entre chacune de ces étapes, il est plus difficile d’estimer précisément la période écoulée depuis la mort. Et plus le temps passe, plus cette estimation est imprécise et ne répond pas à l’exactitude souhaitée dans les enquêtes sur les décès. De plus, notre climat nordique ne facilite pas toujours l’utilisation de biomarqueurs tels que les insectes. »
Afin de résoudre ces difficultés, Shari Forbes a réuni une équipe de recherche interdisciplinaire qui travaillera à améliorer l’évaluation du temps écoulé depuis la mort, peu importe l’état de décomposition d’un corps.
« Notre approche originale vise à identifier plusieurs biomarqueurs que nous pourrons analyser à tous les stades de décomposition, pour en arriver à une meilleure estimation du moment du décès. Pour ce faire, nous mènerons notamment des travaux sur le site de Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales] – ou REST[ES] – de l’UQTR, où nous pouvons étudier la décomposition en plein air de corps provenant de donneurs. Notre recherche sur les biomarqueurs sera la plus vaste de ce type au monde, en termes de nombre de dépouilles et de périodes post mortem étudiées », précise la professeure Forbes.
Combiner différentes données pour un meilleur résultat
Au cours de ses travaux, l’équipe de Shari Forbes tentera de découvrir de nouveaux indicateurs ou biomarqueurs liés à la dégradation de tissus mous et durs. Elle évaluera aussi les modifications apparaissant au fil de la décomposition chez certains éléments du corps tels que l’ADN, les acides gras et autres biomolécules. Des échantillons seront prélevés régulièrement sur les dépouilles pour mener les analyses nécessaires.
« Dans ce processus d’identification de biomarqueurs pertinents, nous devrons aussi tenir compte de certains paramètres physiques, comme le climat ou la présence d’animaux charognards, ainsi que des agents chimiques et biologiques susceptibles d’influencer la décomposition. Il nous faut également considérer les différences physiologiques entre les personnes et leur impact sur le taux de décomposition. En combinant notre collecte d’échantillons avec des méthodes d’analyse issues de différentes disciplines scientifiques, nous augmenterons de façon importante la probabilité de trouver des biomarqueurs plus précis pour estimer le délai post mortem », espère Shari Forbes.
Pour ces travaux, la chercheuse bénéficiera notamment de la collaboration de la professeure Theresa Stotesbury (science forensique) de l’Ontario Tech University, ainsi que des professeurs Aaron Shafer (sciences environnementales) et Paul Szpak (anthropologie) de la Trent University (Ontario). « Notre approche prévoit l’implication de chercheurs de secteurs variés afin d’en arriver aux meilleurs résultats possibles », souligne la professeure Forbes.
Le financement octroyé par le CRSNG pour ce projet de recherche, en vertu du programme pilote Horizons de la découverte, s’élève à près d’un demi-million de dollars (sur cinq ans). Les montants consentis permettront, entre autres, de rémunérer plusieurs étudiants qui participeront activement aux travaux de recherche.
Un projet important et utile
L’estimation exacte du délai écoulé depuis la mort d’une personne s’avère déterminante, à la fois pour les proches du défunt et les forces policières. Une date plus précise de décès permet d’associer plus facilement un corps à une personne disparue, à partir de bases de données. L’estimation du moment de la mort est aussi particulièrement importante lors d’enquêtes criminelles.
« En améliorant nos connaissances sur la décomposition humaine et le moment précis d’un décès, nous serons davantage en mesure d’identifier les restes de victimes de violence et de personnes disparues et de retourner leur dépouille à leur famille en deuil. Nous contribuerons aussi à une résolution plus rapide des enquêtes médicolégales et à l’identification des contrevenants. Notre projet de recherche revêt donc une importance toute particulière d’un point de vue sociétal et de sécurité », d’ajouter Shari Forbes.
Rappelons que la professeure Forbes est titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 en thanatologie forensique. Elle dirige également le site de Recherche en Sciences Thanatologiques [Expérimentales et Sociales] (REST[ES]) de l’UQTR, un laboratoire extérieur unique au Canada, consacré à l’étude de la décomposition cadavérique humaine.
Renseignements et coordination d’entrevues
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