Située dans l’hémisphère nord, l’immense forêt boréale – composée principalement de conifères – joue un rôle fort important dans le cycle du carbone planétaire. Pourtant, la façon dont les arbres de cet écosystème répondent aux stress hydriques, comme les inondations ou les sécheresses, demeure mal comprise. Pour faire avancer les connaissances sur ce sujet, Camille Roy, étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQTR, y consacre ses efforts de recherche. Ce choix scientifique l’a aussi menée dans une université états-unienne, pour un stage de quelques mois…
« Je m’intéresse à l’hydraulique des arbres, explique la chercheuse. Plus précisément, j’étudie comment certaines espèces d’arbres boréales stockent et utilisent l’eau, en lien avec les conditions environnementales. À cause des activités humaines et des changements climatiques, la santé de la forêt boréale se dégrade, d’où l’importance de mieux comprendre comment ses arbres gèrent leur consommation d’eau et réagissent aux perturbations hydriques. »
Des stratégies différentes selon les espèces
La circulation de l’eau dans un arbre se fait de bas en haut, des racines jusqu’aux feuilles. Une grande partie de cette eau est ensuite évacuée par transpiration, par de petites ouvertures dans les feuilles appelées stomates. Ces minuscules trous, qui peuvent s’ouvrir ou se fermer, servent aussi à capturer dans l’air ambiant le CO2 nécessaire à la photosynthèse.
« Lorsque la disponibilité en eau varie dans leur environnement, les arbres ne réagissent pas tous de la même façon, précise Camille Roy. En présence d’une sécheresse, par exemple, certaines espèces vont diminuer leur consommation en eau et ralentir leur fonctionnement, en fermant notamment leurs stomates. D’autres types d’arbres vont plutôt continuer leurs activités, ce qui les rend plus vulnérables au manque d’eau. »
Un vaste projet de recherche
Pour étudier la gestion de l’eau par les arbres de la forêt boréale, la chercheuse recueille différentes données à l’aide d’instruments de mesure. Ces appareils ont été placés sur trois espèces d’arbres (pin rouge, épinette noire, sapin baumier) dans des sites naturels situés au Québec (Sherbrooke, Forêt Montmorency, Baie-James) et dans le nord de la Saskatchewan.
« Certains instruments de mesure étaient déjà en place depuis quelques années et j’en ai installé d’autres moi-même, l’été dernier. Cela m’a permis de vivre de très belles expériences car c’était la première fois que je me rendais dans le Nord, à Baie-James et en Saskatchewan », note-t-elle.
L’étudiante obtient ses données à partir de trois différents appareils. Le premier, appelé sonde diélectrique, est piqué dans le tronc pour mesurer le taux d’humidité de l’arbre. « Afin de bien calibrer cet appareil, j’ai effectué des mesures en laboratoire avec des bûches qui ont été trempées, puis séchées », rapporte-t-elle.
Le deuxième instrument est une sonde de flux de sève. Elle permet de mesurer la vitesse de circulation de la sève dans l’arbre. Plus ce dernier consomme d’eau et en perd par transpiration, plus la sève circule rapidement.
« J’utilise aussi un dendromètre qui mesure régulièrement la circonférence du tronc, indique Camille Roy. Un arbre peut stocker de l’eau dans son tronc pour répondre jusqu’à 50 % de ses besoins quotidiens en transpiration. Grâce au dendromètre, je peux mesurer des changements micromillimétriques dans la circonférence de l’arbre, ce qui donne une indication sur la quantité d’eau stockée dans le tronc. Lorsque l’arbre fait de la photosynthèse et transpire pendant le jour, la circonférence du tronc rapetisse. Puis pendant la nuit, l’arbre refait ses réserves d’eau et son tronc grossit. »
Sur chaque site étudié par la chercheuse, le taux d’humidité et la température du sol sont aussi mesurés à différentes profondeurs, à l’aide de capteurs.
Valider des modèles
Avec les données recueillies, Camille Roy souhaite évaluer la pertinence et la complémentarité des informations fournies par ses différents appareils de mesure. Les résultats obtenus lui permettront également de comparer les stratégies hydrauliques des arbres en fonction de leur espèce et du milieu où ils se trouvent.
« En plus de l’analyse de ces données, je m’intéresse aux modèles scientifiques qui ont été créés pour simuler les stratégies hydrauliques des arbres et faire des prévisions, en lien avec les changements climatiques. C’est ce qui m’a amenée à travailler pour quelques mois avec le professeur Gil Bohrer de l’Ohio State University, à Colombus aux États-Unis. Ce chercheur utilise un modèle qui prend en compte toutes les conditions environnementales pour illustrer de quelle façon l’arbre utilise son eau », ajoute Camille Roy.
L’étudiante réalise actuellement un stage (septembre à décembre) dans l’équipe du professeur Bohrer, grâce à une bourse de recherche Mitacs Globalink et une aide financière de l’UQTR. « Le modèle de Gil Bohrer n’a pas encore été testé avec des espèces d’arbres boréales comme celles que j’étudie. Je cherche donc à vérifier si son modèle peut bien fonctionner avec des arbres de la forêt boréale, en utilisant les données que je recueille sur le terrain », résume-t-elle.
Un stage international formateur
Camille Roy réalise ses travaux de maîtrise sous la direction du professeur Alexandre Roy (sciences de l’environnement, UQTR) et la codirection du professeur Oliver Sonnentag (géographie, Université de Montréal). Constatant l’intérêt de l’étudiante pour la modélisation, ces deux chercheurs l’ont mise en contact avec le professeur Bohrer.
« J’ai été très bien accueillie dans l’équipe de Gil Bohrer. J’ai même un petit bureau pour la durée de mon stage. Les étudiants que je côtoie proviennent de plusieurs pays. Je peux échanger régulièrement avec eux, autant à propos de leurs projets de recherche que de leur culture. Ces discussions m’ouvrent à de nouveaux horizons », souligne Camille Roy.
À son arrivée à l’Ohio State University, après deux jours de conduite automobile, l’étudiante dit s’être sentie comme dans un film. « Avec son ambiance, ses maisons d’associations étudiantes, le campus correspond vraiment à l’image qu’on se fait d’un campus américain. Sur place, j’ai dû me trouver un logement, créer de nouveaux liens. Ça m’a sortie de ma zone de confort, mais j’ai pu quand même me concentrer sur mes recherches. Je bénéficie aussi de l’aide des autres chercheurs de l’équipe, tout en ayant un accès direct et rapide aux personnes travaillant sur le modèle qui m’intéresse », constate-t-elle.
Motivée par sa grande curiosité, Camille Roy a choisi les sciences pour son parcours universitaire. Après avoir obtenu un baccalauréat en physique, elle s’est tournée vers les sciences de l’environnement dont elle apprécie le côté concret, tangible. « Je prévois terminer ma maîtrise l’été prochain. Je ne sais pas encore si je poursuivrai au doctorat, mais si c’est le cas, je souhaiterais continuer en sciences de l’environnement à l’UQTR, car j’aime beaucoup mon équipe de recherche actuelle », de conclure l’étudiante.