Si l’adage veut que la violence engendre la violence, il arrive parfois, même dans les plus horribles histoires, que la beauté triomphe sur le mal. Emma-Émilie Gélinas en est la preuve vivante.
Ayant grandi dans un milieu défavorisé, la Trifluvienne de 43 ans avoue avoir vécu de nombreuses épreuves où elle a été témoin de violence faite aux femmes de son entourage. L’épisode le plus terrible est survenu en 1993, alors qu’Emma-Émilie n’avait pas encore 16 ans, lorsque sa mère a été victime d’une tentative de meurtre. Même si elle n’a pas été fatale, cette attaque a complètement fait chavirer la vie de sa mère et celle de tous les membres de la famille, qui gardent encore d’importantes séquelles de l’incident, 28 ans plus tard.
Ce crime perpétré par un ex-conjoint n’ayant pas accepté la rupture avec la mère d’Emma-Émilie n’est pas sans rappeler les nombreux épisodes de féminicides qui font les manchettes au Québec depuis quelques semaines. Sensible à ces tristes événements, la famille d’Emma-Émilie a récemment accepté de s’ouvrir publiquement sur les médias sociaux afin de partager son plus douloureux souvenir et dévoiler les cicatrices psychologiques qu’il a causées. Le but de cette démarche était de sensibiliser les femmes concernant l’importance de dénoncer les gestes de violence dont elles sont victimes et de les inciter à demander l’aide professionnelle nécessaire.
« Mes sœurs, mon frère et moi avons tous été traumatisés par les événements et, encore aujourd’hui, nous travaillons pour nous remettre de tout ça. C’est pourquoi nous acceptons d’en parler publiquement. Il n’y a rien de normal à vivre dans la violence alors il faut la dénoncer », lance sans détour la diplômée de l’UQTR.
« Ma mère n’a plus jamais été la même après l’incident. Nous avons perdu des années précieuses avec elle puisque, du jour au lendemain, nous sommes devenus responsables d’elle en raison de son état et des séquelles psychologiques qui ne sont jamais totalement disparues. Sa vie n’a plus jamais été celle qu’elle était. Tout ce drame a eu des répercussions immenses dans ma vie personnelle. J’ai dû sacrifier une bonne partie de ma vie dès l’adolescence pour prendre soin de ma mère et éventuellement pour devenir sa tutrice légale lorsque la maladie l’a rendue invalide et incapable de prendre des décisions pour elle-même. Devant l’intensité et la gravité de la situation, j’ai aussi développé un fort sentiment de peur et de méfiance envers les hommes, en plus de connaître des épisodes dépressifs au cours des dernières années qui sont associés à cet incident et aux répercussions qu’il a eu dans ma vie », explique-t-elle.
Faire avancer la cause
Comme bien d’autres femmes, Emma-Émilie aurait pu demeurer prisonnière du cycle de la violence. Mais avec sa volonté de fer, et après de nombreuses années de thérapie, elle sourit à la vie et trouve maintenant sa raison de vivre dans ses trois jeunes garçons ainsi que son nouveau combat pour la défense des droits et de la sécurité des femmes.
« J’ai enfin trouvé ma voie! C’est ce qui m’allume le plus actuellement », s’exclame fièrement celle dont le regard brillant ne laisse présager aucun indice d’un chemin de vie aussi peu commun.
En mission à l’ONU
Ce désir de transformer son passé en quelque chose de constructif a récemment pris tout son sens alors qu’Emma-Émilie a été sélectionnée pour joindre une délégation de 345 délégués syndicaux issus de 56 pays à la 65e session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies. Cet événement international est le plus grand rassemblement annuel de l’ONU sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Pas moins de 25 000 participants y ont pris part du 15 au 26 mars.
Avec son chapeau de vice-présidente de la Fédération du personnel professionnel des universités et de la recherche, un mandat obtenu grâce à un dégagement de sa tâche d’agente de recherche au Décanat des études de l’UQTR, Emma-Émilie profitait de l’événement pour s’informer sur la prévention de la violence et du harcèlement en milieu de travail. Les enjeux sur l’encadrement offert en milieu de travail pour les femmes victimes de violence familiale l’interpelaient également puisque le milieu de travail est souvent salutaire pour les femmes qui vivent de la violence à la maison.
« Le Québec est en retard comparativement à d’autres provinces. Nous devons regarder de très près les politiques et réformes en cours comme le projet de loi 59 qui pourrait avoir un impact direct sur la santé, la sécurité et le bien-être des travailleuses et travailleurs. Nous devons nous inspirer des meilleures pratiques en place dans le monde. Notre participation à la Commission de la condition de la femme des Nations Unies nous a apporté de nombreux arguments et idées pour défendre les droits des femmes, des familles et consolider le leadership féminin dans les organisations », explique-t-elle.
« Personne ne doit tolérer la violence »
Consciente que son parcours pourra inspirer d’autres victimes à reprendre le contrôle de leur vie, Emma-Émilie insiste sur l’importance de faire appel aux ressources professionnelles le plus rapidement possible.
« Lorsqu’on se retrouve en situation de violence et de harcèlement, on se sent pris au piège. On ne voit pas comment on peut s’en sortir. La peur est réelle. Les femmes qui hésitent à quitter un homme violent ne le font pas, car elles craignent les représailles ou en viennent à croire que leur situation s’améliorera. Il n’y a pourtant rien de normal à subir la violence. La vie, ce n’est pas ça! Personne ne doit tolérer aucune forme de violence et de harcèlement, que ce soit à la maison, avec les amis ou au travail », conclut la jeune femme.